Edito

un passage secret

« It’s beautiful, it’s a secret path ». Ces mots sont ceux de Camilla Rhodes dans Mulholland Drive de David Lynch. Elle tire alors Diane Selwyn d’une voiture qui filait droit vers l’accident. Du moins c’est ce que l’on pouvait un instant penser car cette action répétait celle de la séquence d’ouverture. Nous ne le saurons jamais. La perspective d’un accident s’évapore totalement dans l’enchantement qui lui succède. L’éclat surgit du bord de la route pour mettre un terme à une course folle vers la mort. Au moins temporairement. C’est un moment unique et magique, un pur enchantement, un joyau à plusieurs faces qui reflète une multitude d’émotions en un seul spectre de lumière. Cette lumière est d’autant plus belle qu’elle surgit de nulle part.

Il y a dans cet enchantement un conducteur complice qui se retourne pour annoncer une surprise, une lumière lunaire qui se faufile entre les feuilles d’un sous-bois insoupçonné, les nappes ambient d’Angelo Badalamenti, le sourire apaisé de Camilla, une main qui se glisse dans une autre, une douce ascension de robes légères et une arrivée sur les hauteurs de la ville. C’est une séquence magnifique.

Mais plus qu’un simple plaisir enfantin, il y’a surtout dans cet enchantement le pouvoir évocateur du cinéma et de l’art en général. C’est le spectateur qui se fait guider. C’est aussi lui qui compose le paysage qui se dessine sous ses yeux pour mieux le poursuivre en songes et en énigmes. L’art doit nous offrir des passages secrets de la sorte. Ceux-ci forment des passerelles idéales pour nous mener vers des émotions inattendues, faire basculer un récit et nous perdre. Et l’art doit en définitive assumer ces prises de risque qui suspendent les accidents pour mieux les faire surgir avec fracas. Le spectateur doit  avoir envie de s’engager sur les nouveaux chemins qui se dessinent face à lui. La beauté d’un raccourci est qu’il n’en est plus vraiment un quand un chemin est fait de méandres infinis.

Ce site parlera d’œuvres cinématographiques et musicales qui tracent chacune à leur manière leurs chemins sinueux sans en épuiser la richesse. Celles qui se retrouvent dépassées par la densité des émotions en jeu. Trop d’œuvres programmatiques conçues par des petits malins calculateurs se contentent de dérouler une mécanique linéaire pour atteindre des émotions prêtes à emploi. Elles enferment le spectateur en lui dictant quand rire, quand pleurer ou quand s’indigner. Mais l’émotion ne se dicte pas. Chaque spectateur doit pouvoir la composer et la recomposer seul. C’est ainsi qu’il s’approprie une œuvre. Les œuvres défendues sur ce site sont celles qui méritent justement d’être vues et revues car le temps du dévoilement est celui de la vie. Plus simplement, les œuvres dont on tombe amoureux.

Des gestes radicaux qui créent le trouble. Des regards contemplatifs qui offrent des reflets aux réalités bigarrées du monde. Des récits lancés pleine balle et subitement détournés. Des récits sur un fil tendu au bord du précipice. Des polyphonies en désaccord. Des voix qui se fissurent et se taisent. Des rencontres et des aveux au coin des rues. Des corps qui trahissent les pensées. Des danses incessantes sur le feu. Des respirations malicieuses. Il existe des milliers de manière de faire vibrer un récit. Il sera ici question de films et d’albums musicaux qui retiennent un peu tout ça en eux.

un raccourci

Tino Tonomis

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