Plus qu’un simple hommage au pouvoir vivifiant et ressuscitant du cinéma, Nobuhiro Suwa nous offre avec Le lion est mort ce soir un film sur la profondeur des lumières qui traversent une vie à son crépuscule. C’est-à-dire au moment où la conscience de son extinction est la plus aiguë. En son cœur, trois films y palpitent avec plein de malice enfantine. Le premier qui ouvre et ferme cette histoire est le film que tourne Jean dans le Sud de la France. Nous ne saurons rien de ce film si ce n’est que Jean doit mourir. Ou plutôt jouer la mort. Acte paradoxal qui suppose que celle-ci se laisse appréhender par le jeu. De là vient la première interrogation de Jean qui ne sait si la mort relève du chant de mort – la tragédie – ou du chant de vie – la comédie. Le tournage s’interrompt sur cette hésitation et Jean se recueille dans la maison de Juliette, son amour disparu. Juliette y revient en fantôme et un nouveau film intime débute alors dans les rêves de Jean. Le précédent film est à peine mis en sommeil que dans l’endormissement de Jean, la mort entame déjà un dialogue inédit avec la vie. C’est un film qui se tisse dans le creux de la conscience, à cet endroit précis où l’inconscient se montre naïf. Enfin, le troisième et dernier film est du côté de la vie éclatante. Intrigués par la présence de Jean dans cette maison, des enfants décident d’en faire le héros de leur film d’épouvante. Après s’être abandonné à ses rêves, Jean s’abandonne aux jeux de ce film enfantin. Et dans la diffraction des reflets des miroirs, la maison se redécouvre. Elle est tout à la fois un théâtre intime et social, un théâtre des rêves et un décor de cinéma. Celle-ci n’offrirait que des représentations figées de la vie et de la mort sans la force du cinéma qui, en multipliant les cadres, déjoue les frontières et prolonge les reflets. Dans cette maison, plusieurs rencontres ont lieu. La rencontre de Jean et des enfants, deux puissance de vie à des âges différents ; la rencontre de Jean et Juliette et enfin la rencontre d’un film et de son sujet.
L’évidence du plaisir se manifeste dans l’emboîtement de ces films. Plaisir du jeu, plaisir des rencontres et plaisir des retrouvailles, Le lion est mort ce soir ne se prend finalement pas au sérieux. Et il y a chez le spectateur un évident plaisir à retrouver un Jean-Pierre Léaud magnétique et espiègle comme jamais reformuler la Nouvelle Vague 60 ans après Les quatre cents coups. Dans le film de Nobuhiro Suwa, le plaisir est cet instant insouciant où l’obsession de la mort aboutit au retour clinquant de la vie. Jean ne peut alors que s’en amuser. Il jette des pommes sur les enfants qui le filment. Puis il chante en hurlant « le lion est mort ce soir » quand un des jeunes réalisateurs du film d’épouvante a pour idée de le transformer en chien. Jean ne chante ni la vie ni la mort, mais simplement la transformation. Et ici, la transformation est celle d’un homme qui devient lion. C’est aussi la transformation des désirs qui s’incarnent dans des rêves qu’on touche enfin du doigt. Il s’agit d’un chant de l’éphémère. De ce moment où la vie et la mort se frôlent.
Les rêves ne durent pas. Les séquences de rêves sont d’ailleurs empreintes d’une grâce fébrile. Lorsque Juliette apparaît, c’est dans des jeux de miroirs, dans une faible profondeur de champ et dans des mouvements voluptueux balayés aussi bien par le vent de la nuit que l’onde de l’eau. Et quand le lion surgit à la fin du film, c’est seulement pour inaugurer quelques pas lents et disparaître. Seul Jules qui a perdu son père verra ce lion. « Alors tu le vois » s’enthousiasme Jean. Car les rêves sont là pour rassurer Jean et Jules et les raccorder aux êtres chéris et perdus. Ils sont aussi là pour redonner la chance de pouvoir dire « au revoir » une dernière fois. Jean a maintenant la réponse : mourir, c’est simplement prononcer cette formule. Au revoir. C’est ce qu’il dira aux enfants et au fantôme de Juliette. Dans le dernier plan du film, Jean joue enfin la mort. Il dit « au revoir » à la vie et au spectateur et Jean-Pierre Léaud nous offre un dernier regard tremblant particulièrement saisissant. L’attente est longue. Mourir, c’est savoir quand on peut enfin fermer les yeux.
Tino Tonomis
1 réflexion sur « Le lion est mort ce soir (Nobuhiro Suwa) »