10 / Hey Colossus – The Guillotine (noise rock)
Toujours accoutumé à l’apnée suffocante, Hey Colossus sort avec The Guillotine l’album le moins souterrain de sa discographie. Leur noise rock lourd et plombant sait même se faire cristallin par moments. Au fond du tunnel, les chansons caverneuses retrouvent un nouveau lyrisme. Une porte de sortie inattendue, pas forcément très loin du rock alternatif et étonnamment éloignée des premiers amours noise. La série des effondrements violents se poursuit dans l’univers et Hey Colossus sait mieux que quiconque tracer un chemin à travers les pierres jonchées. Des mélodies écrasées soutiennent le poids fatal des avalanches noisy, traversent les rideaux de guitares en chute libre et arrivent à remonter la pente coûte que coûte. Album en guerre avec lui-même, The Guillotine avance l’estomac noué complètement hagard, ne sachant trop vers quelle balise se diriger pour sa future halte.
Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=bw1jexJr-Rs
Parce que la pluie d’estocades noise rock est un déluge irrésistible et que même un saxophone protopunk biberonné à l’école Stooges s’y dissout.
9/ dälek – Endangered Philosophies (hip hop / noise rock)
Un an seulement après le faussement assagi Asphalt for Eden, dälek retourne à la radicalisation indus et noise rock pour un hip hop abrasif et écorché vif. Le signal d’alerte est tiré, la machine se grippe, la maison s’enflamme et voilà dälek prêt à reprendre la révolution sur des charbons ardents. Et si le spoken word de Will Brooks est un appel au secours, il assure aussi un flow mélodieux qui lui permet de ne pas perdre le fil de sa rage et d’entretenir la flamme. Car dans la bataille, les scratchs font les noyades mais la voix de Will Brooks est une main tendue qui nous sort du marasme. Chants révolutionnaires devant l’effondrement d’un monde, Endangered Philosophies est un magnifique poing en l’air qui ne retombe pas.
Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=v6ZdbrhvtjI
Parce que dans une atmosphère dark ambient asphyxiante, une voix s’élève pour scander à travers les volutes irrespirables d’un gaz ténébreux.
8/ From the Mouth of the Sun – Hymn Binding (ambient / néo-classique)
Orchestre de sable qu’une brise envole, Hymn Binding est un assemblage de cathédrales fragiles, d’édifices de violons et de pianos élégiaques sur la brèche. C’est un lyrisme en chute libre dans un monde abandonné à ses propres ruines ; un lyrisme à jamais gravé sur le marbre froid comme une épitaphe. Sur Hymn Binding, le temps qui passe se fait assourdissant et efface lentement tout motif de joie à la vie déguenillée. Une substance noire engloutissante s’en déverse fatalement. Ne reste plus alors qu’à s’accrocher à des pianos qui brillent comme des lueurs dans la nuit.
Une chanson : https://ftmots.bandcamp.com/track/risen-darkened
Parce que le vaisseau de violons qui apparaît à l’horizon au bout de quatre lentes et belles minutes de navigation est un grand mirage fugace.
7/ Timber Timbre – Sincerely, Future Pollution (folk rock / art rock)
Rien ne sera jamais plus comme Hot Dreams et Timber Timbre ne se cache pas pour le clamer haut et fort. De là cette idée de composer une bande originale pour les nuits noires et rêveuses ? Sincerely, Future Pollution est à n’en point douter une ode aux chimères façonnées par la nuit vaporeuse ; à ces figures étranges formées entre fumée et lune scintillante. Le parcours est hésitant, tergiverse entre danse et errance. Puis après avoir répondu aux lumières nocturnes, le folk rock glacé de Timber Timbre se laisse envahir par la pollution chaleureuse ; il en frémit pleinement. Les quatre membres du groupe s’élèvent au-dessus des villes tels les anges des Ailes du Désir de Wim Wenders (les riffs de Sewer Blues évoquent Six Bells Chime de Crime and The City Solution). Et puisque rien ne sera jamais plus comme Hot Dreams, Timber Timbre a créé un album pour séduire les fantômes de la nuit. Après les rêves chauds, place aux rêves froids.
Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=G4TBiC5VyOE
Parce que dans la nuit flottante, cette dernière errance au cœur d’une ville inconnue sonne comme la mélodie de l’évaporation ultime.
6/ JASSS – Weightless (electro / techno)
Les murs se referment sur eux-mêmes lentement, quelques beats malades battent le pouls de l’oppression et une électrisation au rasoir dépèce la nouvelle œuvre protéiforme de JASSS. Tous les moyens développés dans Weightless constituent une véritable chirurgie de la défaite. C’est une musique de club qui se prolonge un peu trop longtemps et qui se perd dans les alcôves. La transe cérébrale en devient fort capiteuse et mène droit au repli sur soi. Le confinement est alors la seule voie que JASSS nous laisse pour trouver la guérison. Un seul mot d’ordre face à une techno mouvante et déstructurée dans laquelle tous les éléments gravitent entre eux : trouver un ordre et trouver sa place. De quoi plonger durablement dans Weightless pour ne plus jamais remonter.
Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=7anX_Jtj_4c
Parce que cette œuvre-fleuve est un étourdissement halluciné qui bascule dans les châtiments opiacés au cours de quatre dernières minutes absolument dingues.
5/ Bing & Ruth – No Home of the Mind (ambient / néo-classique)
La plaine est vide et le piano caressant de Bing & Ruth y fait germer des graines d’espoir. Peu de choses sont ainsi semées pour donner du relief et ouvrir les nuages : des accords répétitifs de piano, des violons lents et élancés ; bien peu de choses. Mais ce minimalisme raccorde de magnifiques boucles mélancoliques entre elles et annonce ainsi de nouveaux cycles joyeux. Un tel dépouillement est propice aux nouveaux récits que peut offrir une nature en éveil. Cette épure nous permet de mieux flotter sur la plaine et nous emporte dans le souffle d’un vent imparable. Et même si l’ombre de la disparition se fait sentir, c’est l’émerveillement qui l’emporte.
Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=PjxRwSmVm5Y
Parce que le piano coule avec la facilité de l’eau d’un ruisseau et nous perd dans les beaux chatoiements de ses reflets.
4/ Incendiary – Thousand Mile Stare (post-hardcore)
Les sirènes de New York peuvent à nouveau retentir, un nouvel animal nourri à la scène NYHC des 90’s vient de regagner la ville. Et dans les rues étroites, le post-hardcore d’Incendiary se heurte joyeusement la tête dans le mur. Il est tissé de riffs tordus et déséquilibrés, d’un chant saccadé et de coups de guitare saccagés, très souvent arrêtés en pleine exécution féroce. Incendiary tourne autour du feu avant de danser sur des brasiers ardents. Il palpite ainsi à des pulsions erratiques en complète disharmonie. C’est dans ces étranges décalages que rôdent les créatures déchiqueteuses d’Incendiary. Celles dont les mâchoires sont des laminoirs; et les cris des déluges imparables.
Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=oapGX_sF-Nw
Parce que c’est un sprint fou couru avec des casseroles bruyantes aux pieds, hurlé entre palm mute, gimmicks riffés, complaintes hip hop et breaks cardiaques.
3/ Puce Moment – Ad Noctum (electro expérimentale)
Des percepteurs sonores installés un peu partout pour amplifier les sons cachés de ce monde. Cela pourrait être le projet de Puce Moment sur cet album tant il semble saisi entre ondes tremblantes et illusions optiques. Ad Noctum enregistre les formes indécises et l’accointance de sons bondissants et perméables. De tous ces sons aux formes étirées, pétries, frappées et sans cesse transformées. Si la matière fluctuante et voyageuse avait une musique, ce serait celle-ci. Une musique qu’on amène avec soi comme un grigri tant elle épouse ses formes sur celui qui l’écoute et colle à ses moindres mouvements. Un album mais sans doute plus que ça : une sculpture issue d’une fusion ensorcelante.
Une chanson : https://pucemoment.bandcamp.com/track/monolithe
Parce que ce lent et magnifique glissement sous l’épiderme du monde nous laisse face à une pluie d’atomes perdus.
2/ Love Theme – Love Theme (jazz / drone)
Quand les saxophones deviennent des bombes, ils lézardent le ciel apocalyptique de leurs coups d’éclairs suraigus. Et quand ils ne sont pas bombes, ils deviennent des cris plaintifs d’oiseaux à l’article de la mort. L’air en est tellement surchargé que le faux thème amoureux perd ce qui pouvait lui rester d’atmosphérique. Ne reste qu’une odeur funèbre. Une chaleur étouffante et orageuse perdue dans une technicité industrielle et meurtrière. A peine réchappé de l’incendie meurtrier, le jazz suffocant est déjà au bord de la noyade. A moitié conscient, tout devient alors étrange et machiavélique. Profondément monstrueux. Cet abominable jazz est ligoté sur un chemin de fer dans le plus démoniaque des circuits. Et dessus, les saxophones n’en peuvent plus de rouler, rouvrant les plaies, puis creusant dans les blessures les plus vives.
Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=eR7In-XRbk0
Parce que dans cette bataille aérienne, chaque saxophone est un faisceau de lumière aveuglant qui nous prend au piège de ses signaux.
1/ Omar Sosa & Seckou Keita – Transparent Water (musique traditionnelle cubaine / musique traditionnelle sénégalaise / musique traditionnelle japonaise / néo-classique / jazz)
La surprise qui surgit de cet album est de celle qui s’échappe des cheminements aventuriers au cœur des forêts de songes ; des forêts denses et florissantes. Une luxuriance se révèle. Des moments de pure expressivité volubile laissent ainsi parler la nature : entre autres, pluie de kora ou ballottements de piano furtif et curieux. D’autres moments de silence prodigieux ouvrent sur d’immenses clairières de sérénité. S’écoulent comme le lent égouttement de l’eau transparente. Des chemins se tracent, se tressent enfin quand ils se rencontrent à la croisée de territoires minéraux inconnus. L’œuvre en est bigarrée et multicolore. Elle est une éclosion de fleurs tropicales ; un bouquet cubain, sénégalais et japonais. Parfois, c’est le chef d’œuvre de Midori Takada Through the Looking Glass et les rêves fous d’Henri Rousseau dans la jungle qui vibrent dans cette éclosion. Transparent Water n’est rien d’autre que l’histoire insensée d’une floraison intime qui regardait ailleurs.
Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=FhuAjzUFBWI
Parce que sheng et koto guident vers le doux endormissement de l’onde puis la disparition dans le plus beau des silences.
Tino Tonomis
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