Une montagne fut trop grande pour Gabriel. Une seule. Fellipe Barbosa la filme sous un amas de végétation dès la séquence d’ouverture. Perdu au milieu, le corps de Gabriel gît inanimé. On ne sait alors pas qui il est vraiment. Fellipe Barbosa non plus, tellement il prend de précautions à filmer ce jeune homme mort, petite tache cachée par les hautes herbes. Gabriel était pourtant un ami intime du réalisateur. Fellipe Barbosa entreprend dans ce film de revenir sur les traces de son ami baroudeur et d’y rencontrer les différents compagnons de route qui l’ont côtoyé au Kenya, en Tanzanie, en Zambie et enfin au Malawi. Deux acteurs rejouent le rôle de Gabriel et de sa petite amie Cristina. Le film s’achève avec évidence sur la mort de Gabriel. Si cette évidence relève d’une logique narrative, elle l’est aussi vis-à-vis de l’engagement sans faille de Gabriel. Quand il affronte la montagne, c’est en réalité la mort qu’il veut déjouer sur son propre terrain mythologique. A la fin du film, l’image de cette mort est toutefois radicalement différente de celle du début. Le visage serein de Gabriel s’impose au premier plan et relègue le paysage dans une très faible profondeur de champ. La mort s’accueille doucement et se pose sur le visage de Gabriel comme un insecte. Il ferme les yeux simplement. La mort n’est qu’une simple étape d’un long périple qui se poursuit.
Gabriel et la montagne est un hommage assumé à une figure prométhéenne, un surhomme nietzschéen et aussi un ami total et fidèle. Fellipe Barbosa prend grand soin de dresser le portrait d’une individualité avec tous les sacrifices qu’implique la volonté de rester entier et idéaliste. Avec toutes ses contradictions également. Gabriel rejette la décadence matérialiste de la civilisation occidentale mais en provient. Gabriel tient à développer des liens forts avec la population locale mais pour mieux poursuivre ses idéaux personnels. Il s’intéresse au culte massaï car il croit comme Nietzsche que le mythe perpétue l’instinct vital. Dans La naissance de la tragédie, le philosophe allemand situe la figure tragique dans un entre-deux fatal entre d’une part l’engagement total et mesuré d’Apollon poursuivant l’idéal de beauté et d’autre part l’abandon extatique et ivre de Dionysos. Prométhée, figure apollonienne, meurt par amour des hommes. L’individu dionysien se fait au contraire dépasser par une force de vie imparable. Gabriel est lui aussi un mélange des deux. Et lorsqu’à la fin du film il meurt, son sourire trouble car il exprime une conscience joyeuse de la tragédie, rappelant les mots de Nietzche : « Alors aucune consolation ne peut plus prévaloir, le désir s’élance par-dessus tout un monde vers la mort, et méprise les dieux eux-mêmes ».
Tino Tonomis
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