La nuit est un gouffre et des corps à l’abandon s’y diluent. A travers son documentaire Patric Chiha ne s’attache pas vraiment à l’histoire d’un groupe d’amis-oiseaux de nuit. Il ne s’attache pas non plus aux interactions d’individualités perdues dans les jeux désespérés de la séduction. Son film n’a pas de résonance politique ou sociologique. Sa beauté est au contraire d’atteindre l’homme dans sa matière la plus sensorielle. L’homme est ici un corps d’éphèbe jeté au beau milieu d’une arène. Mais plus qu’un hommage béat à la beauté du corps, Patric Chiha se livre ici à une étude de l’entrée hésitante du corps dans l’âge adulte. Ce corps est la seule force de ces prostitués désillusionnés qui ne rêvent même plus de retrouver leur famille dans leur pays natal. Dégagé de la primeur de la naïveté, le corps doit d’emblée relever le défi de cette bataille qui se joue ici et maintenant sur la piste de danse. Et ici le documentaire semble frôler la fiction car sur cette piste de danse des garçons usent de tous les artifices pour se mettre en scène, cacher leur véritable identité et devenir des comédiens de la nuit rêvant de destinées impossibles. Nous ne saurons d’ailleurs jamais qui sont ces garçons.
Pourtant, si le film semble prendre initialement le chemin expérimental d’une odyssée du corps sous les projecteurs blafards de la nuit, il s’en éloigne progressivement. Nous assistons à la naissance d’un groupe. Les corps se libèrent doucement, les langues se délient et les amitiés se forment. Nulle rivalité n’entraîne ces garçons. Les menaces cachent un énième jeu de séduction. Le film s’achève sur une longue séquence de danse. Magnifique instant où tous les protagonistes se rapprochent dans un élan jouissif collectif. Ces garçons se rapprochent ainsi du Dom Juan décrit par Albert Camus dans Le mythe de Sisyphe : un homme conscient de l’absurdité de son destin mais prêt à se perdre dans la quête inépuisable des conquêtes sans lendemain. Chaque nuit ressemble à la précédente mais chaque nuit est belle car elle est comme un dé jeté sous un projecteur.
Tino Tonomis
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