#5 – Félicité (Alain Gomis)

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« Longtemps ton souvenir bien-aimé m’a empêché de dormir, et, quand le sommeil est enfin venu, mille rêves de félicité m’ont encore rapporté ton image rayonnante de charme et de douceur » clame Victor Hugo dans ses Lettres à la Fiancée. La félicité est un bonheur intérieur. Elle fait l’objet d’une quête mais s’empare de nous de façon surprenante et inexpliquée. Elle peut même être une projection onirique, un fantasme de bonheur qui nous apaise. Dans le nouveau film d’Alain Gomis Félicité est le prénom de cette femme mutique qui déambule entre songes et enfers avant de trouver sa place. C’est aussi une manière de désigner Kinshasa, ville chaotique pourtant capable de diffuser une mystérieuse force apaisante au coin d’une rue ou dans un bar ordinaire. On pense aussi à cette magnifique phrase de Max Ophüls dans Le Plaisir : « le bonheur n’est pas gai ».

C’est qu’à la manière d’Orphée, Félicité plonge littéralement dans les Enfers. La première partie du film est celle de l’épuisement abyssal, une course effrénée dans les rues de Kinshasa qui dévoile tout un microcosme étagé en différentes strates de violence. Mais parce que Félicité avance droit et que la caméra ne dévie pas de son axe frontal, la fatalité s’éloigne au fur et à mesure que les paysages défilent. Puis dans la seconde partie, quelque chose d’ordre magique s’opère. Orphée ramène Eurydice des Enfer, un fils qu’elle croyait perdu à jamais. Ce fils d’abord absent finit par renaître au contact des délices de la vie kinoise. Il en va d’ailleurs de même pour Félicité. Elle, son fils et le fidèle et tendre acolyte Tabu évoluent toujours dans ce microcosme chaotique mais ils glissent désormais avec douceur d’un espace à l’autre. Ils sont comme portés par une douce vague. Le mouvement est maintenant horizontal. Ils passent ainsi d’un chez-soi reconquis qui devient un terrain de jeu à un bar où la douce ivresse scelle les complicités. Le tout en faisant des escales musicales lors de séquences de répétition où le lyrisme minimaliste de la musique d’Arvo Pärt se mélange au bricolage bruitiste et vrombissant du Kasaï Allstars. Le bonheur n’est pas gai car la douleur colle comme une deuxième peau. Comme la peau d’un brûlé qui a tutoyé les flammes de l’Enfer. Mais si ce bonheur est désillusionné, il croit encore aux simples enchantements. Et c’est là que se niche la félicité.

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Tino Tonomis

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