The last family (Jan P. Matuszynski)

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Il est des familles dont la chair vibre d’une pulsion commune et ravageuse pour l’art. La famille Beksinski est de celles-ci. Le trouble que suscite le premier film du réalisateur polonais Jan P. Matuszynski est qu’il opère au croisement de deux forces insaisissables et grouillantes à tout niveau. Celles-ci agissent dans des scènes presque exclusivement intérieures. Ces deux forces que sont la vitalité artistique et la vitalité familiale existent d’ailleurs depuis que l’homme se constitue en collectifs. Dans The Last Family, ces deux mouvements créatifs en perpétuel devenir ont besoin l’un de l’autre et n’hésitent pas à se rendre coup pour coup. Et nonobstant leur fascination pour la mort, leur vitalité les fait pleinement pencher du côté de la vie. Jan P. Matuszynski les situe dans un rapport d’égalité. L’art n’est ni un grand mouvement transcendant indéchiffrable qui guide la famille ni une activité sagement intériorisée entre quatre murs. Ni trop haut, ni trop bas, l’art intègre simplement la cellule familiale comme un sixième membre. En art, les membres de la famille Beksinski disent peu et observent beaucoup. La famille s’expérimente de la même manière. Lorsque le fils Tomasz renverse la cuisine, son père Zdzislaw le regarde totalement intrigué. Dans le domaine artistique comme familial, rien n’est acté et tout se dessine progressivement. Et en même temps, quelque chose d’inné préexiste. Dans le petit appartement familial tout exigu, Zdzislaw utilise une caméra pour filmer ses proches. Chaque membre devient alors à la fois acteur et spectateur. Des mystères sont à percer ; l’envers des murs et l’envers des proches restent à découvrir. La caméra transperce ces frontières, traverse les âges et crée ainsi de l’immuabilité, c’est-à-dire une dose d’éternel dans une famille où tout se fait évanescent et tourmenté.

Leur environnement les condamne à l’art. L’appartement est un assemblage de petites pièces jonchées d’objets artistiques et de couloirs parcourus en long en large et en travers. L’enfermement est total. Tomasz trouvera d’ailleurs un apaisement tardif et progressif à mesure que sa chambre se remplit de disques et de magnétophones. Dans la banlieue grise polonaise, l’appartement des Besksinski se laisse envahir par une douce contagion artistique. Les couloirs sont ces endroits intrigants dans lesquels débordent les pièces de vie. C’est précisément dans ces couloirs que les membres de la famille Beksinski se croisent. C’est aussi là que s’entreposent les œuvres qu’on ne sait plus ranger. Les couloirs sont donc ces carrefours où jamais ne cessent les mouvements artistiques et familiaux ; ces veines par lesquelles la famille Beksinski respire d’un même souffle. Ce mouvement perpétuel et les aléas explosifs de la vie se retrouvent dans les mouvements verticaux de l’ascenseur. Chaque mouvement fait sens et le mot d’ordre est de se laisser déborder par le quotidien quitte à tout faire exploser. En ouvrant le gaz, Tomasz fera ainsi imploser son appartement. Cette famille vit avec l’intuition infaillible que son destin est tragique mais elle sublime ce quotidien par un enthousiasme constant.

Car la mort rôde. Zdzislaw la filme même au plus près quand ses proches meurent. C’est une manière pour lui de mettre à distance la fascination qu’elle opère, notamment sur son fils dépressif. La mort est une matière artistique. Une texture qui couvre l’épiderme du défunt. Lorsque sa femme meurt, la douleur est là mais le processus créatif se poursuit. Zdzislaw l’immortalise en un plan fixe avec sa caméra. Ce tableau renverra tragiquement à la mort de Zdzislaw lui-même. Il meurt assassiné par des dizaines de coups de couteau devant un de ses tableaux représentant un homme ensanglanté en plein ventre. Zdzislaw se dit fasciné par le fantasme et de façon ironique sa mort resplendit comme un fantasme de son œuvre. Les œuvres violemment organiques de Zdzislaw Beksinski représentent souvent des hommes touchés en plein ventre, respirant et expirant par ce nœud central. La famille aussi se ressent en plein ventre. Tout se coagule dans cet organe et quand Zdzislaw tombe, une flaque de sang s’étend autour de son ventre. La vie et la mort s’impriment sur la même toile du temps. Zdzislaw le dit lui-même : « le temps fait son œuvre ».

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Tino Tonomis

1 réflexion sur « The last family (Jan P. Matuszynski) »

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