Un mot et le plaisir littéral se revendique. Les garçons sauvages s’ouvre sur une tempête ; celle-ci fait vaciller caméra et spectateurs et se fait l’écho d’un cri de détresse, un « Tanguy » imploré hors-champ. Et à Tanguy de tanguer. Tant et tant qu’il en tombe. Une telle ouverture peut surprendre dans le cinéma français actuel tant elle assume une franchise poétique devenue rare. Bertrand Mandico ne fait aucun mystère : dans son film, tout y sera frontalement décrit et la métaphore s’édictera sans détour. Tanguy sera donc celui qui tangue. Plus tard, cette séquence sera revue et se lira comme une métaphore d’une recherche sexuelle chancelante. Et plus tard, une nouvelle tempête éclatera et ce sera le moment choisi par la bande de garçons pour se débarrasser du capitaine. Tout tangue sur le bateau et ils tuent le père. L’éloge de la tempête se fait alors tonitruant.
Faire jouer cinq garçons sauvages par cinq actrices magnifiques relève du plaisir littéral. Les tournoiements d’une jeunesse en recherche de basculement, les troubles identitaires et le refus de l’innocence sont autant de stigmates qui peuvent s’imprimer avec force sur leurs visages de poupons. Loin d’être une simple référence au viol d’Orange mécanique, un viol qui déclenche une violence plus grande que lui, la séquence d’agression sexuelle contre l’institutrice aimée porte la marque vive de ce basculement. Lait et sperme se mélangent dans une image charbonneuse en noir et blanc. Les jeunes garçons ne s’abreuvent plus au lait maternel mais à un sperme primesautier, irrépressible et violemment jaillissant. L’agression sexuelle renvoie alors aussi bien l’image d’un lait retourné par les progénitures sur leur géniteur que celle d’un amour maladroit qui ne s’exprime que dans la violence. Le procès de cette bande de garçons enterre l’innocence et ouvre la voie au monde brumeux de la culpabilité adulte. Le juge grandit divinement derrière eux comme une réincarnation du Faust de Friedrich Wilhelm Murnau. Un brouillard d’expressionnisme allemand flotte dans ce paysage découpé au couteau sur lequel se dresse un horizon bouché qui anéantit tout espoir d’échappatoire. Mais à défaut de créer de la profondeur et de l’horizon, le noir et blanc saturent l’air de contraste et de vapeur et dynamitent ainsi le paysage plombé.
A la morne culpabilité noire qui pèse sur ces jeunes garçons, ceux-ci répondent par une sexualité exposée dans toute sa superbe et sa blanche brillance. Celle-ci étincelle sur des visages de poupons prêts à tout recevoir et à tout donner. Des coups, des jets et des sécrétions sexuelles ; le visage est la première surface qui s’offre au monde. Le corps est meurtri au fond de la cale mais le visage toise l’horizon en tête de proue. Le corps suivra car lui-aussi n’échappera pas à ces traversées fatales et lui aussi sera façonné par le relief aiguisé de l’érotisme. Il se perd dans deux univers inconnus et foisonnants : l’eau de mer et l’île des plaisirs. C’est Jean-Louis, le plus rebelle et le plus violent des garçons, qui plonge dans cette eau de mer visqueuse et vaporeuse dans laquelle il trouve la force de tuer le chien. Quant à l’île des plaisirs, elle est l’endroit dans lequel le corps n’a nul espoir d’en sortir indemne. En son sein, la nature y est luxuriante, envahissante, pénétrante puis clairement saisissante quand elle fige les corps des jeunes éphèbes dans de véritables chrysalides, signant ainsi l’acte de sortie définitive de l’enfance. Sur cette île, rien n’est à éclaircir et tout est à saisir dans la jouissance de l’immédiat. Par cet amour de la métaphore littérale, Bertrand Mandico rejoint le symbolisme : l’image ayant gagné la réalité, c’est la réalité qui est à explorer et non l’image à décrypter.
Une des plus grandes réussites esthétiques des garçons sauvages est qu’il fait du corps une île magnifique à explorer. Ce corps a sa nature florissante et ses saisons à travers lesquelles les sexes tombent comme des fruits. Inscrit dans un cycle éternel de constantes transformations, le corps n’a pas assez de toute une vie pour muter et accomplir ses désirs. Faire l’amour à plusieurs sur une plage, c’est faire corps avec la nature, vibrer à tout et affirmer une puissance de vie inextinguible. Et s’il y avait une image à retenir du film de Bertrand Mandico, ce serait celle d’un ventre qui cache un trésor digne des plus grands récits d’aventure. Un coffret à joyaux dans lequel il faut fouiller afin d’y dénicher la perle rare. Cette grande chasse au trésor est l’aventure d’une vie.
Tino Tonomis
1 réflexion sur « Les garçons sauvages (Bertrand Mandico) »