100/ Tinariwen – Elwan (rock / blues / musique traditionnelle touareg)
Nouvelle traversée de la chaleur pour le groupe malien. Sous un soleil trompeur qui donne une ombre aux notes, les trajectoires se font zénithales ; les riffs, eux, vibrent à la fièvre désertique pour mieux se prolonger dans un écho aride. Et le Sahara devient une magnifique caisse de résonance. Cet album est celui des plaintes amères qui se perdent sous le soleil le jour et se recueillent la nuit au sein de la tribu réunie. Au milieu du désert, quelque part entre ciel et sable, des voix persistent et dévoilent de nouvelles constellations blues. Sans se réinventer, Tinariwen prouve qu’ils n’ont pas fini d’explorer un territoire où la richesse s’étale à perte de vue.
Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=H1YIgwPsX5Q
Parce que les riffs tremblants et chaloupés de Mark Lanegan dansent sous le soleil et font de la mélodie de Tinariwen un magnifique mirage.
99/ Unsane – Sterilize (noise rock / post hardcore)
Avec ce court album criblé de balles, Unsane nous offre une physique de la chair : découpée, flétrie et mal dégrossie. Dans la lancinance d’un cauchemar qui ne s’éteint pas et tourne en boucle ses vieux démons, une expression vocale tente de s’extirper. Elle a le goût du sang en bouche, la douleur chevillée au corps, la chair déchirée par les coups démoniaques. Une ligne se fraie une voie, une voix effraie les lignes. Et dans les entrecroisements aléatoires et hallucinés de riffs organiques, Unsane nous offre une musique violemment défigurée. Un visage à la Francis Bacon s’y découpe alors et s’impose.
Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=1b3Cm6_ea3U
Parce que l’album s’ouvre sur une mécanique industrieuse au bord du déraillement et que les guitares tombent comme une pluie de ferraille.
98/ Ty Segall – Ty Segall (garage rock)
Habitué à de tonitruantes bourrasques, Ty Segall n’aime rien tant que dessiner le chemin en marchant. Improviser des croisées, entrelacer des riffs un peu n’importe comment ; c’est toujours dans les phases accélérées que se révèlent les plus belles chausse-trappes. Achevées et emportées dans la houle, les courses se jouent même lorsqu’elles sont perdues d’avance. Entre accents acoustiques à la Neil Young (Talkin’, Take Care) et rythmiques progressives façon Comets on Fire (Warm Hands, Papers), le courant alternatif de Ty Segall dérègle les compteurs et électrocutent les balises.
Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=gqD_4ZvxI48
Parce que le songwriting de Ty Segall se perd en plein fourré épineux dans cette chevauchée de dix minutes gorgée de fuzz et aventurée malgré elle sur un pont psychédélique bringuebalant.
97/ Freddie Gibbs – You Only Live 2wice (hip hop)
Le repentir les mains jointes. Le hip hop de Freddie Gibbs est tout entier tourné vers le ciel, dévoué à une imploration divine comme le chant élégiaque d’un coryphée. Et si les prières vont au secours céleste des nuages cotonneux, elles vont aussi aux anges sous psychotropes. L’apparat clinquant et mystifié sait s’acoquiner d’une dévotion sincère à Dieu. Il ne faudrait voir du superflu dans un tel geste. Car en traçant une voie à mi-chemin entre gangsta rap et christian hip hop, Freddie Gibbs s’adonne à la croyance jusqu’au boutiste d’un rap ascensionnel et salvateur. Et dans des sillons d’encens se scande l’au-delà triomphant.
Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=7ssMIfjlr5k
Parce que cette chanson évoque le mythe de Sisyphe : la mélodie au piano sonne le tocsin de l’élévation ; les beats lourds et plombés clouent au sol.
96/ Actress – AZD (electro / house)
Perdue dans les alcôves, une musique lancinante de club se laisse entendre. Actress connaît par cœur les recoins des antichambres, ces lieux nocturnes dans lesquelles des actrices en lâcher-prise déambulent. Là où les fuites en avant se font lascives et errantes. Irrépressibles. Le sol se dérobe, les repères s’obscurcissent puis finissent par vaciller. L’electro tourmentée d’Actress délivre alors une musique à plusieurs étages, comme le révèlent Faure in Chrome ou There’s an Angel in the Shower : les rêveries opiacées prennent doucement le dessus tandis qu’à la surface, les martèlements malades persistent. Et de ces chutes-là, il est clair qu’on ne s’en relève pas.
Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=alT2wfaMcEQ
Parce qu’un ange s’entend derrière la cascade mais qu’il est tragiquement voué au lointain hors de portée.
95/ Robin Foster – Empyrean (trip hop / pop baroque)
La grandiloquence, Robin Foster ne la craint pas. Cordes frottées en arrière-plan, entrées en scène de guitare par hooks plaintifs, boîtes à rythme conquis aux jeux de l’assaut, tout est agencé pour une musique volontiers spectaculaire et désespérée. Les odes pop orchestrales annoncent de grandes odyssées intérieures. Ainsi, des chansons comme Everlast ou The Hardest Party donnent à voir des égéries seules en scène, drapées de tristes robes de soirée. Et dans ces petits théâtres de poche, la souffrance se contient difficilement. Elle déborde. Et elle finit même par faire craquer les coutures.
Une chanson : https://robinfostermusic.bandcamp.com/track/roma
Parce que les violons dévoilent une cathédrale de fragilité et que celle-ci finit par s’effondrer dans une escarmouche fatale et autodestructrice.
94/ Metz – Strange Peace (noise rock / post punk)
Le dernier album de Metz est une autoroute à quatre voies sur laquelle les guitares roulent comme de véritables poids lourds. Elles s’adonnent à de dangereuses mais joyeuses queues de poisson. Engagée dans un flux de vitesse imparable, la musique du groupe canadien se retrouve pourtant complètement congestionnée. Quelque part coincée entre sifflement de moteurs et bourdonnements cahotants. Cela ne l’empêche pas de filer droit, tête baissée vers la destination finale, et ce malgré les à-coups et les accélérations stoppées net.
Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=ku0rJjuXiTQ
Parce que dans la pénombre noise rock, une issue finit par se dégager, voie unique où la vitesse fait valser les alarmes et les contrôles routiers.
93/ Gnod – Just Say No to the Psycho Right-Wing Capitalist Fascist Industrial Death Machine (post punk / indus rock / krautrock)
Les ferraillements distordus de l’indus rock évoquent chez Gnod comme chez Nine Inch Nails la furie capitaliste. La voix éreintée de Paddy Shine s’immisce comme un souffle entre deux pièces de métal pressées par la cisaille. Car quand les machines chaotiques déraillent et ne se contrôlent plus, elles écrasent les hommes. Chez Gnod, les répétitions provoquent la surchauffe, la surchauffe provoque l’épuisement et c’est la machine victorieuse qui finit par crier à la place de l’homme.
Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=NTGdXLx7Ht0
Parce que ce combat à mort entre l’homme et la machine signe l’extinction de cette dernière dans une lente expiration inattendue de jazz psychédélique déviant.
92/ Thundercat – Drunk (funk / pop / acid jazz)
Le funk de Thundercat n’a jamais été autant aquatique et joueur, glissant comme un monstre de mer, entièrement conquis à des jeux d’apparitions et de disparitions sous l’eau. Ses courtes mélopées éclaboussent à travers les paravents. Quelques gouttes d’acid jazz versé dans l’eau et une mixture piquante et sucrée s’obtient. La magie opère grâce à une basse intenable qui ondule aux reflets de l’eau et du soleil. Le funk de Thundercat se fait ainsi puissamment perméable à une nature foisonnante.
Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=zxNHJXpH9QM
Parce que les cloches résonnent et brillent sur la ligne de flottaison et que la navigation à vue délivre une surprenante mélodie indisciplinée.
91/ Alessandro Cortini – Avanti (ambient / synthpop)
Cet album du compositeur italien connu pour être le claviériste de Nine Inch Nails sort tout droit des territoires de l’inconscient. La musique s’y fait somnambule, à moitié envolée entre demi-sommeil et rêveries nostalgiques. Les synthés analogiques dépoussiérés dressent, quant à eux, une piste étoilée en direction de l’enfance perdue. Nulle tristesse. Les nappes éthérées se font au contraire belles comme des rideaux flottants au vent. Car Avanti est une fenêtre ouverte sur une nuit sans nuages et sur un ciel peuplé de comptines qui s’étirent jusqu’à l’aube. A fleur de drap et sur le fil du rêve.
Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=FbFmudiI_kA
Parce qu’une belle colonne chancelante s’édifie de l’addition de synthés analogiques, enroulée comme une ritournelle de boîte à musique enfantine.
Tino Tonomis
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