90/ Mavis Staples – If All I Was Was Black (soul / rhythm and blues)
Il existe assurément quelque chose d’enchanteur dans cet album. Et probablement parce que la soul de Mavis Staples gorgée d’une exquise et brute franchise s’acoquine à merveille des arrangements rock d’un calme olympien de Jeff Tweedy. Les riffs de guitare épousent les trémolos d’une voix douce-amère et lui donnent tout l’espace nécessaire à son expression. La parole concise parle peu mais parle bien. Ainsi la voix fébrile et légère de Mavis Staples perce des paysages tantôt arides, tantôt sereins. Une voix qui s’échappe avec volupté dans la vapeur d’un café noir. Et alors elle finit par flotter langoureusement dans l’air froid.
Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=i4eEPZ-_vqY
Parce que le voyage dans la plaine se fait main dans la main entre Jeff Tweedy et Mavis Staples pendant que piano et guitare roulent placidement leur bosse.
89/ Tonstartssbandht – Sorcerer (rock psychédélique / pop lo-fi)
Ce groupe nous rappelle que jouer de la musique c’est se débattre dans l’eau avant de surnager. Les guitares s’agitent en cavalcades de chevaux de mer pour rester à fleur d’eau, dans les ressacs des vagues. Si la musique improvisée par ce duo guitare-batterie emprunte volontiers au free jazz et au boogie woogie, c’est qu’il aspire à un vagabondage immersif et aquatique. Et dans la jam, la noyade menace. Mais il faut bien savoir suffoquer dans ses gilets de survie pour voir les sirènes.
Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=P6B3KbePQAI
Parce que le canot percé se laisse joyeusement engloutir de toutes parts et fait chanter les SOS avant de mourir sur la rive avec les Beach Boys.
88/ The Comet is Coming – Death to the Planet (jazz psychédélique / nu jazz)
Aventure cosmique de Shabaka Hutchings, The Comet is Coming est un adieu à la terre. Le saxophone prolixe du héraut sud-africain trace une voie à l’écart. Échappée de la gravité, celle-ci devient une magnifique piste sous les étoiles. Les jeux de décalages harmoniques propres au jazz ouvrent cette nouvelle odyssée vers un ciel dégagé puis des stratosphères inconnues. Ascension infinie. En étoiles lumineuses, des notes à la dérive se suspendent dans l’espace. Un album à glisser à tous ceux qui écoutent les leçons d’astronomie de Pharoah Sanders et les rêves de Sun Ra.
Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=Srz6KfjRpcM
Parce que la traversée astrale qui décolle grâce à un saxophone à propulsion fait peu de cas de la gravité et des météorites pour mieux regarder en l’air.
87/ James Holden & The Animal Spirits – The Animal Spirits (electro / free jazz / folk psyché / krautrock)
Les formules incantatoires sont bien connues du sorcier James Holden. Le free jazz, l’electro ou le krautrock renferment quantité d’idiomes mystiques qui s’échappent de la terre sitôt que celle-ci se met à trembler. Un animisme rituel libère alors une étrange ménagerie et des spectres flottants. Et entre les galops des synthés, les barrissements des saxophones et les cris perdus d’oiseaux, la ménagerie ne se contient plus. Un fourmillement animalier remue la terre électrifiée. Et de vieux thèmes ancestraux y sont ainsi ravivés.
Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=weOsD8lNwxM
Parce que cette ronde sur le feu s’endiable à la flûte enchantée et aux percussions nomades pour faire tressaillir la transe époumonée.
86/ Vas & Ill Clinton – V for Vigoda (hip hop)
Le hip hop cérémoniel de Vas & Ill Clinton ouvre la voie du temple. Les portes de cette arène de recueillement se repoussent sur fond de beats orientalistes et cuivres dévots. La cadence des beats fait courber l’échine jusqu’à l’ultime geste sacrificiel au pied de l’autel. Quant au flow de Vas, grave, percutant et martial, il se tient droit et sermonne depuis le pupitre. Une voix de maître dévouée à la cause comme une figure totémique. Une voix de maître.
Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=nhZLFxejNjQ
Parce que la cérémonie du gourou Vas captive, entête puis vassalise à force de vocalises impérieuses.
85/ Girma Bèyènè & Akalé Wubé – Mistakes on Purpose (ethio-jazz)
Une bande d’improbables mutins chapardeurs réveille le vieux sage disparu. Et lorsque Girma Bèyènè reprend du service, ses appels au calme se font éteindre par une fougue juvénile qui emporte tous les débats. Les lignes se croisent ; les dissonances s’aiment pour ce qu’elles sont. Et à force de gimmicks cuivrés ethio-jazz électrisés au rock, la partition lâche du lest. Girma Bèyènè joue alors l’espièglerie. La meilleure réponse à donner face aux facéties des jeunes tribus excités.
Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=30RaKRxLM_g
Parce que quand l’ethio-jazz s’enfièvre à la chaleur, il se désaccorde, hurle les yeux révulsés et réveille la poussière.
84/ The Black Angels – Death Song (rock psychédélique)
Midi pointe ; le soleil se fait complètement aride et l’asphalte fond. Ces vautours de Black Angels ont redonné rendez-vous au même endroit. Le même bord de route, le même cagnard. Leur rock caniculaire étreint d’hallucinations psychédéliques ; leurs ballades capiteuses et dédaléennes se sirotent lentement. Et portée par une basse contondante et une guitare toujours prompte à serpenter, leur musique se fait plus cabossée que jamais. Comme une route droite déformée. Avec un tel groupe sédentaire et adorateur du soleil, il faut se montrer attentif aux défilements des paysages.
Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=Q7Lf2XGrGlU
Parce que le crépuscule décrit une lente courbe descendante avant le passage fatidique mais plein d’espoir de l’autre côté.
83/ La Terre Tremble !!! – Fauxbourdon (folk-rock / krautrock / pop lo-fi)
Invraisemblable invention bringuebalante ; qui pensait qu’elle avancerait ? ! Le krautrock cinématographique de La Terre Tremble !!! est savamment huilé à la rythmique jazz et aux sauts de quartes. Et seule dans l’obscurité, la machine se trace un chemin. Dans une atmosphère en clair-obscur, elle est balayée par un bruit d’alarme comme un phare dans la nuit. Sans cesse sur le point de se gripper à force de changement de gammes et d’alternances de modes majeur/mineur, le mythe monstrueux de Docteur Jekyll et Mister Hyde rôde dans l’ombre. C’est un album plein d’amour pour l’imaginaire cinématographique des temps anciens. Un album peuplé d’images enchanteresses.
Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=MV8y-0tYvDU
Parce que la ballade épuisée se relâche comme un ressort avant de s’envoler définitivement dans le ciel de Jules Verne au son d’un vieux clavecin.
82/ The Shins – Heatworms (acid pop)
Les ballades pop de The Shins forment une superposition de bulles flottantes, explosives et aléatoires. Leur pop est volontairement exploratrice et minérale. Elle va où elle veut, se faufile entre les portes et ne craint pas le grand bain. Car cette pop mouillée doit beaucoup à l’eau. Elle se tient également prête aux sautillements de plongeoir. Et à la fin, c’est la chimie et ses grands mélanges éruptifs qui l’emportent. Rien d’impossible dans les grandes synthèses ; cette pop pleine de trous sait énergiser les vides.
Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=NeN-m_D0xl8
Parce que les grandes odes pop se font rares et que celle-ci s’exalte aux envolées de guitares qui savent hisser les voiles du sourire.
81/ Do Make Say Think – Stubborn Persistent Illusions (post rock / math rock)
Les démarrages en trombe n’assurent pas le maintien dans l’espace. De savants calculs et des changements d’octaves sont nécessaires pour prolonger l’entrain d’un décollage dans l’atmosphère flottante. La logique est toute physique ; la virtuosité du métier l’exige. Le contrôle spatial doit savoir se maîtriser malgré les remous de capsule et les zones de turbulence. Chez les canadiens de Do Make Say Think, les riffs piqués des guitares s’initient aux dépressurisations élastiques. Et c’est ainsi qu’ils tracent une magnifique trajectoire dans un ciel à plusieurs niveaux.
Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=Y4L7ik5kgyU
Parce que le cockpit se laisse guider aux ondes électriques sans craindre la menace de la zone orageuse qui se profile.
Tino Tonomis
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