50 / The Paperhead – Chew (pop)
L’invitation au voyage est une main tendue vers un paysage de baguenaude. La pop bercée d’americana de The Paperhead part en balade en toute légèreté avec son attirail un peu maladroit : une basse balourde et dandinante, une flopée de riffs électriques perdus comme des pas de côté, des paroles pleines d’humour, des compagnons de route (un cochon, la grenouille de Fairy Tales). Les rencontres féeriques en chemin inspirent les marches aléatoires et perdues. Par faufilements et déhanchés, les courses soudaines et précipitées finissent par s’arrêter sagement au bord du chemin pour se pencher au-dessus de ce que les étangs dissimulent.
Une chanson : https://thepaperhead.bandcamp.com/track/little-lou
Parce que cette pop song parfaite qui se perd sous les tremblements des scies n’a même plus de boussole fiable.
49/ Grandaddy – Last Place (indie rock / pop)
L’émotion est impossible à contenir quand cet album s’écoute après le 1er mai 2017, date de la mort du bassiste du groupe. Ce qui sera probablement le dernier album du groupe est un chant du cygne s’embarrassant de peu d’effets ; un bouquet de compositions presque fanées mais qui font corps au sein d’un collectif solidaire. Ce travail d’orfèvre fait tinter l’émotion d’un lyrisme désenchanté ni désespéré ni réjoui. C’est avec des trémolos dans les cordes que les guitares s’expriment ; la voix de Jason Lytle s’émiette quant à elle au contact d’instruments funèbres. Elle en est magnifiquement fragilisée. Pourtant, alors que tant de doux souvenirs retrouvent grâce dans cet album, un sentiment joyeux l’emporte : rien ne s’arrêtera, tout vivra à jamais dans les réverbérations électriques.
Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=rdKzxlbeMxc
Parce que le retenue polie qu’exprime les rythmiques assagies de piano ne peut rien faire face aux emportées lyriques diluviennes.
48/ Jefre Cantu-Ledesma – On The Echoing Green (shoegaze / dream pop / drone)
Le vert resplendissant de Jefre Cantu-Ledesma est un bruissement saisonnier qui va de floraison printanière en crépuscule automnal. Les climats y sont passagers. Ils passent d’un shoegaze tantôt cristallin et net comme un ciel dégagé, tantôt envahi par des bruits. Ou envahi par des vols d’insectes, torturé dans une lumière aussi inquiétante qu’un tableau de Van Gogh. On The Echoing Green est le spectacle du changement et du temps contre lequel nous n’avons pas de prise. Il est le témoin de paysages en constante mutation dans lesquels la sérénité ne dort pas. Il est enfin une alternance de couleurs sans sommeil.
Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=ymaiSdG5sVc
Parce que les riffs promeneurs et aquatiques de la guitare se tournent tout entier vers une nature florissante jusqu’à l’étouffe.
47/ Thurston Moore – Rock N Roll Consciousness (indie rock / noise rock / post punk)
Comme une leçon – ludique et pratique plutôt que magistrale et théorique – Rock N Roll Consciousness est un condensé de ce que le rock a bâti dans la vie de Thurston Moore : divagations par riffs explorateurs, contraste d’accords, couvertures noisy de guitares qui se regardent en chiens de faïence. De Sonic Youth à sa carrière solo, tout un pan d’histoire personnelle est recouvert dans ce beau monologue rock. Thurston Moore n’aime rien tant que le rock qui aime à se perdre avant de retrouver ses thèmes de prédilection pour mieux laisser hagard et chancelant sur la piste. C’est une technique de combat que de mener dans une direction pour livrer les meilleurs crochets de l’autre main.
Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=rrpHWZgENdo
Parce que la route est longue et que les guitares savent s’épuiser à la corde raide jusqu’aux dernières vibrations assoiffées.
46/ Loyle Carner – Yesterday’s Gone (hip hop)
Il est jeune mais possède déjà une voix sourde et écorchée comme un vieux bois de chêne. Il est seul mais possède encore une famille, ce chœur soul, cette communauté retrouvée au grain scintillant. Loyle Carner noie son hip hop dans des verres mal lavées où trempe encore un fond de blues rocailleux que rien n’entame. Il boit en l’honneur des jours bercés par l’ennui et ses refrains trop connus, dénués de surprise ; mais des jours sereins simplement partagés entre amis. Les chansons y sont un peu errantes, jamais fuyantes, toujours faites de gimmicks simples qui bercent un quotidien et font les belles joies d’un temps répété. Et ce temps s’aime simplement pour ce qu’il est.
Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=2tw533GFvng
Parce que les notes de piano sont des envols de poussière au-dessus de photos décaties, les coups de trompette des souvenirs évaporés dans le ciel léger.
45/ Valparaiso – Broken Homeland (folk rock / art rock / americana)
Le folk baigné d’americana de Valparaiso convoque aussi bien Calexico que 16 Horsepower dans la prairie. La capacité qu’il a de donner voix aux espaces du vide est un hommage à la terre ancestrale. Les lents riffs de guitare sont emportés par le vent de la plaine, les cordes débarquent en grande pompe – frottées, frappées, pincées – pour faire vibrer la terre. Et dans la terre labourée, il faut semer les graines de demain, faire chanter la pluie du lendemain. Ce folk épouse les aléas météorologiques pour finalement laisser entrevoir le soleil à travers les nuages.
Une chanson : https://valparaisoofficial.bandcamp.com/track/dear-darkness-feat-marc-huyghens
Parce que l’immense plaine se fait écho à la voix cuivré de Marc Huyghens et que le long de racines d’arbres blessés remontent les complaintes enterrées.
44/ The Necks – Unfold (jazz expérimental / néo-classique / ambient)
Le trio australien continue à ne s’en tenir qu’à trois instruments – piano, contrebasse et batterie – mais en fait résonner mille. L’épopée free jazz n’a rien d’aride. Elle sait éviter les écorchures vives pour aller du côté des caresses. Les cymbales y sont frottées, la contrebasse prend les contrepieds des tonnerres pour se faire légère et ondulante ; et ces caresses finissent par creuser des sillons durables, interrogeant la terre en profondeur, sondant les mystères d’un monde inconnu. Dans ce monde, le piano s’y fait de plus en plus pénétrant et s’éloigne de la surface connue. Car The Necks est un mouvement de haut en bas. Une chute sans violence. Un abandon au vertige.
Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=0lbOKvNatwo
Parce que c’est une véritable procession jazz et minimaliste qui descend la montagne, avec à son bord un piano chargé de cris et de tremblements.
43/ Oxbow – Thin Black Duke (rock experimental / noise rock / jazz rock)
Le plaisir de retrouver Oxbow sur le devant de la scène tient en grande partie à la rêche préservation de la voix d’Eugene Robinson. Cette voix à l’agonie, abîmé et lézardé mais encore faufilante et rampante réussit toujours le même coup de force : raccrocher les lignes de violons aux cris terrestres, les annonces tonitruantes circassiennes aux contorsions de guitares tordues. Elle assèche des compositions rock traînantes mais des changements de rythmes et contretemps jazz rock les ravive. Ce jazz rock ferraille avec des mélodies intenables et les bouscule en tout sens et en toussant. Les annonces de numéros de cirque courts et voltigeurs sont souvent suivis de grands sauts dans le vide.
Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=L7vaeFSR5yE
Parce que dans l’alternance de coups de boutoir et de lentes traînées de guitare se déploie la voix magique d’Eugene Robinson et une ritournelle diabolique se forme.
42/ Otto A. Totland – The Lost (néo-classique / ambient)
Les suspensions de notes de piano dans un ciel de nuit sont des points d’interrogation lâchés en plein silence : chaque note s’y laisse entendre comme un haussement de sourcil songeur. Le piano d’Otto A. Totland ressemble étrangement aux petites fées dansantes piégées dans des boîtes. Il y délivre les mêmes comptines douces-amères. Nul excès de minimalisme néanmoins ; le piano couvre un tel champ d’arpèges et se joue d’une telle quantité de boucles et ritournelles que les compositions en sont pleinement enrichies. Elles forment un ciel étoilé ; dedans des étoiles sont plus visibles que d’autres mais toutes s’étendent à l’infini.
Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=F5dbnhrKU8M
Parce que chaque nouvelle note de piano jetée dans l’air endormi laisse entrevoir une étendue bleu nuit de plus en plus majestueuse.
41/ Ben Frost – The Centre Cannot Hold (electro expérimentale)
Ben Frost décompose scrupuleusement la machine en pleine vitesse de marche. Dans les courts-circuits et les nouveaux branchements éclate un lyrisme insoupçonné mais sans cesse fragilisé par les déclenchements mécanique de rouages grippés. Les raccords en surchauffe s’électrisent et menacent de fondre. Cela sonne comme l’œuvre démiurgique d’un homme au centre de la machine ; un homme menacé de toutes parts par les foudroiements électriques. Dans les débordements et les vacillements, une seule pulsion constante arrive à s’y maintenir et à faire sonner l’espoir d’une libération : la pulsion de vie.
Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=zYdOvm-1_nU
Parce que les caresses ambient sur des machines proches de l’implosion ne peuvent que mener aux points de rupture névralgiques.
Tino Tonomis
1 réflexion sur « 100 merveilleux albums de 2017 – #50 à #41 »