100 merveilleux albums de 2017 – #40 à #31

40/ Flotation Toy WarningThe Machine That Made Us (pop baroque)

the machine that made us

Il est des groupes qui ne s’espèrent plus, ne s’attendent plus à table, mais qui reviennent comme des bourrasques. Flotation Toy Warning débarque treize années après leur premier album avec des chansons de l’infini – variations sur un lyrisme enchanteur et éthéré – comme un souffle tout droit sorti de l’Eden. La préciosité divine de The Divine Comedy a fait des rejetons. Retenons l’étirement d’un geste qui, d’un tempo lent, retisse le fil entre les hommes et leurs espoirs divins ! La confiance des chœurs se gagne comme un Angélus. La fuite d’arpèges mineurs est relayée par des souffles joyeux ; le piano liquéfié coule, lui, en une musique fatiguée, à peine émergée mais chargée d’espoir. Le retour de Flotation Toy Warning c’est la beauté victorieuse de l’ouvrage du temps. Ce temps qui arrive à faire des blessures les plus beaux chants.

Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=5Xa5A8MGxhc
Parce qu’un piano enfantin et craintif s’émancipe dans une aventure épique portée par une montgolfière électrique perdue dans ses nuages.

 

39/ Andrea BelfiOre (musique minimaliste / electro expérimentale)

Ore

Le fond happe et rattrape, c’est inévitable. Une musique à fleur d’eau, caressée dans les cymbales, frôlée par souci électro-acoustique, se recueille ensuite dans une eau plastique qui s’étend lentement. C’est une plongée en chronophotographies multiples. Ore s’agite à la frénésie machinale et aux percussions minérales. Et dans ce recueil, la nature produit des sons que la machine amphibie amplifie. La plongée sous les nénuphars fait macérer une musique crapoteuse dans les vibrations lacustres et lunaires. Un monde se réveille ensuite. Tremblement de la surface ; ce qu’on entend alors ce n’est plus que le vent qui souffle sur l’eau et fait céder sa membrane.

Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=koN0AtZq9Sw
Parce que des lumières de nuit s’agitent tout autour d’une surface balayée par une batterie hypnotique pour créer l’enivrement aveugle.

 

38/ Masta DblGMASTADOOM : DBLMSK (hip hop)

MASTADOOM

Énième collaboration de MF DOOM, l’art du collage est ici poussé à une extrême radicalité. Le nom de l’album est déjà un collage de lettres ; son contenu un patchwork composé d’éléments épars et contrastés. Et au-delà des usages de cuivres ou de piano, cette œuvre est déjà complètement jazz dans sa composition erratique : des bribes y sont superposées à d’autres et un phrasé les raccommode. Les morceaux sonnent ainsi comme des haïkus hip hop à la fois courts et évocateurs ; ils font du décalage la force pulsionnelle de leur ligne de vie.

Une chanson : https://mastadblg.bandcamp.com/track/the-white-mask-my-favorite-ladies
Parce que courts gimmicks, sonneries, riffs, beats taillés à la sauce hip hop forment un orchestre de poche complètement dispersé et dépassé.

 

37/ Mark EitzelHey Mr Ferryman (pop / folk)

Hey Mr Ferryman

Si Mark Eitzel signe à n’en point douter un grand album de pop folk c’est d’abord l’exploit d’une voix. Une voix qui ne cherche pas tant à chanter qu’à résonner. Et c’est là toute la force des crooners : la voix se fait traversante, plie et replie les accords de guitare dans une simplicité lyrique, en donne le ton et en maîtrise les outrances. A un tel niveau, la voix est un garde-fou. Les refrains jaillissent avec leur superbe enchanteresse devant des couplets parfois timides et prudents. Et c’est ainsi que de simples pop songs finissent par avoir la parure des plus belles maximes.

Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=OBxAS5_aSic
Parce que nichée dans un écrin des plus lyriques, cette chanson de fin trouve la plus belle des réponses dans la voix voyageuse de Mark Eitzel.

 

36/ Roc MarcianoRosebudd’s Revenge (hip hop)

rosebudd's revenge

Les derniers mots prononcés par Citizen Kane avant sa mort tombent avec le flacon. Après Orson Welles, Roc Marciano invoque la figure orgueilleuse et menacée de Citizen Kane pour déployer un hip hop versatile, tantôt porté vers le clinquant funk et tantôt vers des ritournelles en plein doute ; de celles qui ressassent les mêmes tourments en rond. Rosebudd’s Revenge est refermé sur une personne et ses paradis perdus. Ceux-ci se font capiteux comme le tonnerre vengeur. Et à l’instar de nombreux personnages de film, condamnés par le destin, Roc Marciano est enfermé dans une vie qui la dépasse. Il n’est donc pas étonnant d’entendre des samples emprunter à des paysages cinématographiques en clair-obscur ; tous ces paysages que Roc Marciano traverse comme une figure de papier envolée.

Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=2biUcMjb-UM
Parce qu’en second couteau, KA vient prêter main forte à Roc Marciano pour inverser le cours mélodique des choses et prendre sa part de fatalité.

 

35/ Melanie De BiasioLilies (pop / jazz)

lilies

Lilies est un nuage de jazz resserré sur lui-même duquel pleuvent des balades douces, amères et parfois profondément meurtries et obscures. Le piano qui perce ce nuage noir et confiné insuffle une pop évaporée faussement insouciante à un jazz faufilant. La rythmique gospel et afro-blue n’est qu’un fond de ciel indéfini. Des notes s’échappent de l’atmosphère, s’égarent et évoquent la perte. Elles désignent ce qui ne nous appartient plus ; tous ces souvenirs embués condamnés à surnager dans l’amertume. Elles s’offrent ainsi en écho au silence. C’est alors que Lilies devient bien plus qu’un nuage pesant : il est un chant du cygne chargé de malheur. Comme si une nuée de corbeaux s’étaient perchés sans crier gare sur l’épaule de Melanie De Biasio.

Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=1iN3B4IUNu8
Parce que chaque note de piano tombe comme un lourd voile de velours et refroidit la nuit jusqu’à la paralysie.

 

34/ King KruleThe OOZ (rock / blues / post punk / jazz fusion)

The ooz

Claquements de langue, cris gutturaux, guitares louvoyées en accord blues, saxophone en état d’alerte : le jazz-blues sous anxiolytiques de King Krule est un bouquet de spasmes. Il offre un ballet d’avions imaginaires qui rôdent et piquent du nez. Les menaces sont largement paranoïaques mais cela n’empêche pas l’éclosion de ballades, certes complètement brinquebalantes ou désaccordées quand elles ne sont pas brisées. Des mélodies se fredonnent encore à travers le voile d’hallucinations. Et si le groove se fait sec c’est que le blues de King Krule est à lui-seul une jungle foisonnante et éparpillée. Et à jamais emportée dans la perte de contrôle la plus totale. Ce groove est immanquablement une fichue maladie tropicale.

Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=O8LIX2OD83s
Parce que sur des hauteurs inespérées la fièvre alanguit les langues et les cordes jusqu’au vertige serein.

 

33/ At The Drive-InIn-ter a-li-a (post hardcore / rock progressif)

In-ter-a-li-a

Comme un feu en plaine texane, le départ se fait au grand galop et balaie toute la broussaille sur son passage. Coups d’arrêts et estocades ne peuvent rien y faire, At The Drive-In reviennent indomptés. Les mélodies changent comme des masques grimaçants mais le rythme ne faiblit pas. Il évolue à flanc de colline sur les chemins erratiques et hachés du crossover le plus total ; celui qui mêle les coups de laminoir post-hardcore aux riffs véloces et escarpés du rock progressif. La fragilité du vaisseau en est indiscernable. In-ter a-li-a prouve ainsi que l’épreuve de la vitesse reste la meilleure voie pour les coups de force juvéniles.

Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=1-NYWzd7JW8
Parce que le chant punk incroyablement ciselé de Cedric Bixler-Zavala mène à lui-seul ce bataillon urbain.

 

32 / UlsectUlsect (death metal)

ulsect

Le death metal d’Ulsect est à prendre au sens littéral tant il s’abat comme une fatalité imparable. Des guitares aux riffs aussi létaux qu’une averse acide nous livre en victime expiatoire d’un territoire corrosif et lézardé sur le point de nous engloutir. Paradoxalement, en refusant la surcharge de riffs et l’abondance instrumentale inutile, ce death metal montre un visage minimaliste pas très éloigné de l’ambient bruitiste de Burzum. Ulsect veut faire vibrer le décalage, cette lumière à peine vive entrevue à l’horizon, avant de concourir à notre perte et engloutissement total. Secrètement, ce qu’il veut c’est nous voir débattre en pleine tempête. Et que tout soit vu et hurlé.

Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=ak_Y6G8aySo
Parce que l’homme happé en pleine noyade connaît mille tourbillons avant l’étourdissement fatidique du chaos.

 

31/ BedwetterVolume Flick Your Tongue Against Your Teeth and Describe the Present (hip hop)

volume 1

Il a la vision déformée par la maladie et autres chimères d’angoisse. Travis Miller, l’homme derrière Bedwetter, rappe hagard sans savoir où il va. Ce qui se scande ici est un hip hop tantôt la tête sous le lavabo, tantôt en surnage. Un univers onirique se dévoile ; il semble de prime abord grand mais se montre finalement bien exigu. Quelques beats fracassés ont tôt fait d’exprimer un mal-être profond. Resserrement sur la boîte crânienne, c’est la folie qui guette. Le phrasé de Travis Miller se dissout alors dans les illusions des médocs. Certains passages instrumentaux éthérés sonnent même comme des rêves inaccessibles, regardés depuis un lit (Fondly Eulogizing Sleep). Et pourtant sous la porte un rai de lumière demeure ; cette petite lumière angoissante mais vitale que possède le quotidien et qui n’en jaillit que de plus belle.

Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=0wMOM_zpY3w
Parce que l’aliénation fait rebondir des mots épuisés sur quatre murs et qu’il devient impossible de se taire.

 

Tino Tonomis

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