Ray & Liz (Richard Billingham)

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Film réchappé de l’enfance meurtri, Ray and Liz – premier long métrage du photographe Richard Billinghamtire de cette tranche de vie deux souvenirs quasiment intacts, à la saveur tendre et amère, et qui se révèlent aussi réconfortants et vitaux que la tasse de thé que Ray porte chaque jour aux lèvres de Liz et qu’elle continue de trouver si âpre ; deux souvenirs d’enfance qui s’achèvent par les larmes d’impuissance de Liz – immense fatum qui coule sur ses joues et la cloue sur une chaise bien trop petite – mais qui en désignant l’inséparable fossé entre le monde des adultes pauvres de condition et celui des enfants riches d’idées en arrivent à préserver ce dernier. Le monde évolue mais pas eux, ces adultes précaires laissés sur le carreau dans la Grande-Bretagne thatchérienne. Au moins les enfants peuvent-ils être cueillis à temps. L’autre grande force des souvenirs largement autobiographiques de Richard Billingham est qu’ils semblent tous partagés par les membres de cette improbable famille alors qu’ils n’ont jamais vraiment communiqué entre eux : le réalisateur évidemment, mais aussi Jason, l’enfant qu’il a eu comme frère, et puis Ray, l’homme qu’il a eu comme père. Jason le petit être aux yeux grands ouverts enregistre tout à l’instar du magnétocassette qu’il manipule involontairement. Tout y est vu de sa petite taille, découvert d’en bas, presque à ras de tapis. A l’autre extrémité, le Ray âgé, séparé de sa chère Liz et presque recroquevillé dans sa coquille : lui contemple la ville depuis la fenêtre de sa chambre, la vie qui se prolonge et le ciel qui lui remémore des images du passé en boucles heureuses. Saisis à des hauteurs différentes, ces souvenirs complètement personnels et authentiques d’enfants et de vieillards ont la grâce immanente de photographies qui mises bout à bout forment un immense portrait de famille. Le portrait d’une famille qui n’aura jamais su se former.

Cette famille est riche de ce qui lui reste. Le premier souvenir de Jason dresse une véritable esthétique de la pauvreté – qui devra toujours être distinguée de la misère – en rendant lumière à un salon soigné jusqu’aux moindres détails. L’oncle Lawrence le remarque tant et bien qu’il le répète en boucle. Mais nous voyons bien la même chose que lui : un immense tapis qui recouvre le sol du salon, des tableaux aux murs comme autant de vanités fièrement affichées, des animaux de compagnie en tout genre et des jeux pour enfants. Le propre d’un regard d’enfant est qu’il est accroché par un détail, ce qu’un mur affiche ou ce qu’un environnement recèle. Et il suffit de quelques regards pour que le théâtre des tragédies sociales soit rattrapé par ce décor abondant de la pauvreté. Ce premier souvenir relèverait de la fable tant tout se sait en avance dans ce salon, pièce-théâtre réduit à quelques objets qui condamnent très vite les personnages au tragique : quelques bouteilles d’alcool dont on sait qu’elles seront bues, un magnétocassette dont on sait qu’il sera vite activé, et un tricot qui sera toujours à faire et à refaire. Liz défera les bandes de la cassette comme elle détricotera son ouvrage dans un ultime plan tragique qui déroule la tristesse infinie en longs serpentins. Oncle Lawrence n’a même plus mal quand on le frappe avec une chaussure mais Liz arrive encore à être triste. Si l’on peut s’habituer aux douleurs physiques, il en va autrement des peines de cœur.

Un second souvenir et Jason regarde enfin par la fenêtre dans une posture similaire à celle du vieux Ray. Le petit être prend enfin de la hauteur et sa nouvelle curiosité opère comme un véritable saut par la fenêtre. De fait, un nouveau monde plus grand fait de parcs, d’escapades vagabondes, de veillées nocturnes ou encore d’animaux de zoo s’offre à lui. C’est simplement que Jason grandit et qu’il dépasse un environnement familier qui le submergeait jusqu’alors. Il lui fallait donc traverser la nuit froide pour être recueilli comme un petit animal perdu et sentir la chaleur d’un nouveau foyer. Et comme les coups du sort tragiques ont une fâcheuse tendance à se répéter, il fallait que Jason quitte une nuit le domicile conjugal pour qu’on l’y arrache définitivement. Cette destruction du foyer, Liz y assiste une nouvelle fois de façon impuissante et, n’ayant pas les armes pour lutter, il ne lui reste plus que les larmes pour chuter.

Les années passent et les temps des chutes et autres déchéances appartiennent bientôt à une préhistoire. Seul dans sa chambre, le vieux Ray regarde le temps filer par la fenêtre dans une douce solitude sagement entretenue par un foyer réduit au dénuement. Les mouches ont remplacé les lapins, les chiots et les escargots ; la mauvaise bière s’est substituée aux liquoreux. Dans cette Grande-Bretagne contemporaine, Ray et Liz appartiennent à cette classe à qui on retire tout mais à laquelle il reste douze pounds et l’amour. Dans un quotidien qu’on dépossède, la joie de Ray est d’y demeurer, de rencontrer toujours le même ciel lumineux et carillonnant de cloches et enfin, au crépuscule des jours redoublés, d’y trouver le repos. Ce ciel quasi religieux et parfois percé de feux d’artifices possède cette digne vertu de ne jamais abandonner l’homme à ses pieds. Tout est retiré dans la chambre de Ray et c’est comme si une place était sciemment offerte à une force d’amour qui peut exploser de tout son halo rouge à la fin du film. Dans la chambre noire, cette lumière rouge offre la photographie d’un amour entaillé, rabaissé, mis à mal mais encore debout. Cette magnifique photographie désigne alors la seule famille qui reste à Ray : la solitude, mais une solitude qui sait encore faire toute sa place à Liz, son amour invaincu.

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Tino Tonomis

1 réflexion sur « Ray & Liz (Richard Billingham) »

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