100 merveilleux albums de 2018 – #90 à #81

90/ FACSNegative Houses (post punk / noise rock)

Qu’elles se traînent en murmures expirantes ou en formidables coups de poignard purificatoires, les guitares peuvent retrouver le temps d’un album leur esprit grégaire. Chez FACS, elles forment une armée clinquante de ferraille qui sonne comme un immense mur dissonant : car chez eux la distorsion y est toujours immersive et déchirante. Tactique de guerre oblige, les murs ne restent pas longtemps figés et se resserrent très vite sur une atmosphère en liquéfaction : c’est une hybridation dans laquelle tout résonne et tout s’abat comme une pluie acide ; les ferrailles comme les dorures rouillent. Dans cet univers occulte caressé de noise rock flâneur et d’indus minimaliste, les nuances passent par le gris. Gris doux d’après-tempête qui minaude et berce ; gris foncé qui brille par l’éclat du métal, tranche par sa fermeté puis assombrit.  Cet album s’écoute ainsi comme on regarde le négatif d’une photographie étrangement plus lumineuse que ce qu’elle laissait de prime abord deviner.

Une chanson : https://wearefacs.bandcamp.com/track/houses-breathing
Parce qu’à travers le fin rideau d’une bruine discrète, un saxophone s’époumone tout tremblant d’eau pour ne pas finir détrempé dans les flaques.


89/ Anne GarnerLost Play (folk / pop / ambient)

C’est comme si de la plaine ravalée par les vents, il n’en restait que les chants. Les paysages atteignent alors une forme d’immuabilité ; ils se reconnaissent même si facilement qu’ils en deviennent immédiatement réconfortants. Ce tour de force – comme peut l’être un coup de pinceau en peinture –  est celle de la pop-folk viscéralement contemplative et colorée d’ambient d’Anne Garner, une musique qui possède tout l’attrait du calme après la tempête. Tout participe ainsi d’une forme de réenchantement : les descentes harmoniques de la harpe arriment à la plaine quand les violons en vents glacés la désossent un peu plus, les notes s’éparpillent dans des constellations qui enrichissent le tableau méditatif, et enfin, les chants s’exposent aux quatre vents, seuls contre leur souffle. Seuls comme Anne Garner, égérie reine et coryphée au-devant de la scène. Après avoir traversée l’enfance perdue (Toys), la muse s’amuse à balayer le temps qui passe et les saisons qui défilent jusqu’au coup de grâce fatal ; celui qui fige la nature dans ses paysages les plus dépouillés et gracieusement nus. Tout s’offre alors dans une épure de grande élégance.

Une chanson : https://slowcraft.bandcamp.com/track/unhand
Parce que la voix diaphane et presque évanescente d’Anne Garner danse sur du cristal et, légère, elle se laisse porter par des violons ailés.


88/ Randall DunnBeloved (ambient / electro)

Le ciel de Beloved s’ouvre sur d’étranges trouées d’air dans lesquelles s’immiscent immédiatement des mirages psychédéliques. Fixer ce ciel, même brièvement, c’est s’apercevoir de la multitude de points de non-convergence et assister à la diffraction du son en plusieurs fragments épars et autant de petites planètes non alignées. Randall Dunn nous expose aux radiations d’un electro ambient en plein fourvoiement cosmique et déjà transfiguré par la chaleur astrale. Car il est trop tard. Tout fond dans cet univers entendu sous modulations musicales et oscillations lunaires. Beloved est une échappée belle aux confins de la galaxie, loin, très loin de tout horizon terrestre. Il réalise une grande et magnifique arabesque au sein de laquelle les ondulations de degrés musicaux établissent des correspondances inattendues avec les variations de degrés de couleurs. Et cette arabesque constitue in fine une impressionnante traversée de spectre.

Une chanson : https://randalldunn.bandcamp.com/track/a-true-home
Parce que dans un dernier adieu la voix de Zola Jesus se répercute dans un immense océan cosmique drone.


87/ Dominique AToute Latitude (chanson française)

Malgré la récurrence des volées lyriques, la musique de Dominique A a-t-elle déjà été autre chose que minimaliste ? L’artiste fidèle aux boites aux rythmes et aux synthés sait comment enchanter ce minimalisme par des compositions semblables à de beaux enfantillages dépouillés et spontanés. Il étire la féérie à partir de la trivialité la plus sommaire ; sa musique est poésie en tache d’huile. Elle est une expérience de la simplicité et se regagne par la simplicité d’autres expérimentations, notamment verbales. La recherche rythmique de Dominique A ne serait rien d’autre qu’une sorte de dispositif d’accentuation où, sur des saillies de beats, le verbe pur ordonne la création d’un relief. Derrière les boites à rythmes et cette langue pendue, la poésie de l’analogique ! A l’instar de la littérature du stream of consciousness, les mots s’entraînent par allure et par effroi (Corps de Ferme à l’Abandon en est un merveilleux exemple faulknérien). La musique peut bien être froide, les mots sont des notes qui suffisent à la réchauffer.

Une chanson : https://www.youtube.com/watch?v=wPRstTEjTh4
Parce que les guitares sont cristallines en même temps qu’orageuses et plongent l’éternité de l’amour dans l’infortune d’un cul-de-sac.


86/ From the Mouth of the SunSleep Stations (ambient / néo-classique)

Au cours des longues nuits de sommeil, la part qu’occupent les rêves est souvent très courte ; rien en comparaison des impressions durables qu’ils peuvent laisser. Sleep Stations est une brève partition musicale qui, à l’instar des meilleurs rêves, coagulent le temps d’un sommeil des éléments échappées de l’univers assoupi. Dans ce semi-rêve, des étoiles filantes se faufilent entre les carillons du dormeur bercé et les impétuosités de violons frappant en ressac pour tenter d’éclairer la nuit, au moins brièvement. Elles apparaissent fugacement puis disparaissent dans la masse sombre et visqueuse du sommeil. Le dernier album de From the Mouth of the Sun avance par enfoncements dans des strates continues et pénètre ainsi un univers insondable : la nuit en plein cœur du monde. Et alors, une note de piano n’a plus seulement une ombre ; elle a aussi une belle profondeur résonnante. Rien ne sert d’être prolixe ! Sleep Stations se découvre ainsi non pas tant comme une succession d’arrêts contemplatifs mais plutôt comme un véritable voyage en territoire de l’oubli.

Une chanson : https://ftmots.bandcamp.com/track/reaching-when-nothing-is-there
Parce que les cordes des violons s’étendent tant et tant qu’elles ressentent aussi bien le pouls de la terre que la douce lueur des étoiles.


85/ Villeneuve & Morando Artificial Virgins (electro / néo-classique)

Si Benoît de Villeneuve et Benjamin Morando arrivent si bien à accorder leurs violons, c’est que tous deux connaissent la beauté des traînées que ces instruments peuvent laisser dans le sable agité. Avec eux, le désert reste une étendue immense mais il acquiert la légèreté d’un jardin suspendu. Des envolées poussiéreuses et des sonneries machinales forment les prémices d’un état d’alerte, lui-même échauffé par des violons à brûle-pourpoint. Des ritournelles asséchées et comme bercées d’illusions s’en échappent alors et le sable soufflé indique la voie. Artifical Virgins n’est qu’une invitation à le suivre. Et dans son sillon se dessinent à la fois des ascensions spatiales et des dévoilements de paysages abandonnés mais heureux. Les territoires découverts sont dans tous les cas nouveaux et inexplorés. Mais l’essentiel et encore ailleurs car au-delà de la quête aventureuse qui se joue dans ces réserves arides et désertiques, Villeneuve & Morando cherche avant tout la ritournelle qui – dans une écrin de cordes frottées – saura être familière et réconfortante. L’audace est alors de faire de cette familiarité agrippée à crin de cordes un étonnement de tous les jours.

Une chanson : https://villeneuve.bandcamp.com/track/abandoned-soundwaves
Parce que dans ce paysage de désolation ravalé par une pluie de violons, les résonnances se répètent inlassablement et érigent un relief insoupçonné.


84/ HawthonnRed Goddess (Of This Men Shall Know Nothing) (ambient / drone / folk)

La lenteur à laquelle tourne cette déesse rouge tombée du ciel fait miroiter un spectre à plusieurs visages. Il s’imprime comme un masque polymorphe et vient hanter les rêves malades et bouillants de fièvre. Autour de ce spectre tout tourne et gravite dans un folk-ambient mystique : complaintes d’animaux blessés, respiration haletante et chœurs perdus de l’irréel. Une cadence prend néanmoins forme et la musique précédemment spectrale de Hawthonn se fait plus épique et royale, déjà divine et encore frappée du sceau de la majesté – aussi noire soit-elle. Une telle investiture guide vers un royaume suspendu à des notes d’orgues et tout entier dévoué à la nuit vorace. Red Goddess est une berceuse idéale pour des sommeils peuplés d’orques et de sirènes dangereuses. Et avec un disque pareil, la nuit devient un empire noir sans fin ; un immense océan qui happe aux tréfonds.

Une chanson : https://badabingrecords.bandcamp.com/track/in-mighty-revelation
Parce qu’après une nuée de drones en mouches, des cris blessés d’animaux marins et un chant vespéral, une magnifique procession funèbre s’engage.


83/ Yonatan GatUniversalists (rock / free jazz / afrobeat)

Déclamer l’universalisme de la musique, c’est vanter ses débordements outranciers et voyageurs. Universalists est un album faussement paumé entre différents lieux joueurs ; il trace une route titubante entre afrobeat tordu et rockabilly dément, fausses parades militaires et vraies parades circassiennes. Les voix des chanteuses semblent oubliées en fond de cale. Quant aux riffs de guitares prêts à dévaler les arpèges, ils se font tantôt rondouillards et acrobates tantôt effilés et escarpés comme les poignards d’un lanceur de couteaux. C’est un spectacle dingue que cet album et, finalement, à l’instar des productions de Monotonix l’ancien groupe de Yonatan Gat, plus grand que le dispositif minimaliste qui semblait le soutenir à l’origine. Toute une communauté palpite derrière un homme – un seul – dans cet album. Et derrière des sonorités passéistes resurgies de leurs cendres, ce sont aussi les époques qui se mélangent. En magicien espiègle, Yonatan Gat enchaîne les exploits pour embraser les partitions musicales.

Une chanson : https://yonatangat.bandcamp.com/track/fading-casino
Parce qu’une magnifique guitare rêveuse fond et se distend en plein désert sous un soleil adouci par les caresses mélangées de rockabilly, surf rock et Brazilian psych.


82/ The OscillationWasted Space (krautrock / rock psychédélique)

Météorologie insaisissable et même perdue dans l’espace-temps, Wasted Space est un trou cosmique où congruent des vitalités contraires à en désorienter les girouettes. Il se situe à la croisée des trajectoires oscillantes de météorites et d’autres objets volants non identifiés. Dans le ciel, leurs traînées ne disparaissent pas mais forment au contraire un immense canevas dédaléen. Ces éclaboussures krautrock constituent aussi un monumental patchwork d’aplats jurant entre eux tant le fourmillement musical que le groupe anglais compose se fait l’évocation d’une vaste gerbe de couleurs. Le krautrock joyeux et embroussaillé de The Oscillation penche nettement du côté d’un space rock dérangé et hagard, les lignes de basse – seul gouvernail d’un vaisseau à la dérive – se laissant rapidement déborder par les guitares et claviers qui – en chevaux fous – n’aspirent qu’à raccrocher les comètes filantes. Parcours d’une déviation la plus radicale qu’il puisse être, cet album réussit très vite à se mettre hors orbite (Luminous Being). Et personne ne pourra plus jamais le rattraper.

Une chanson : https://theoscillation.bandcamp.com/track/luminous-being
Parce qu’une fascination naïve pour une constellation d’étoiles scintillantes finit par mener au plus hypnotique des transports.


81/ Gnaw Their TonguesGenocidal Majesty (black metal / drone)

La noirceur étincelante d’un tel album nous rappelle que même dans les trous noirs les plus ténébreux, une lumière existe. S’il s’agit à n’en point douter d’un maelström d’éléments broyés, déchiquetés et recrachés sur le récif jusqu’à l’entropie la plus figée, Genocidal Majesty cache autre chose. Que peut donc dissimuler l’engloutissement, la parole aiguisée et la ligne musicale intacte que renforce le métal froid ? Il se niche là quelque chose de superbe. La musique de Gnaw Their Tongues est un bouclier de fortune confectionné au hasard des entrechoquements. Et si la carrosserie fumante est percée de trous, il s’engouffre dans ces passages comme des souffles glacés qui ne sont rien d’autres que des cris de mort. Cette déflagration sans peur a de précieuses vertus cathartiques. Cet album est ainsi fait du venin qui fait le meilleur des sérums antivenimeux. Au bout de l’obscurité, la lumière blanche !

Une chanson : https://gnawtheirtongues.bandcamp.com/track/cold-oven
Parce que cette polyphonie de fantômes à jamais introuvables gagne une beauté séraphique insoupçonnée.



Tino Tonomis

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