100 merveilleux albums de 2018 – #20 à #11

20/ Ian William CraigThresholder (ambient)

Lâchés au grand vent dans la vallée, les chants du nouvel album de Ian William Craig semblent – comme souvent chez l’artiste canadien – enroulés en tourments infinis. Ces chants ont cette tonalité paradoxalement humaine ô combien humaine, mais déjà si éloignée des hommes. Car Thresholder est un album qui rend grâce aux chants sans se soucier d’où ils proviennent. Des hommes ou du ciel, ce qui importe est l’entièreté de ces souffles qui s’engouffrent droit et s’émiettent à peine. L’ambient de Ian William Craig tutoie même un certain lyrisme néo-gothique tant les souffles des chansons semblent s’envoler de la nef centrale jusqu’aux coupoles supérieures, et toujours sous la forme de volutes de cathédrale. Présentés devant des totems monumentaux, ces exaltations éthérées ne viseraient finalement rien d’autre que la grâce. Ainsi gagnés d’un mysticisme, les chœurs résonnent d’une ligne plus apurée et cristalline que jamais avant de rejoindre les chants des vents dans des contrées plus lointaines au-dessus de nos têtes. Et si cet album donne l’illusion de n’être constitué que d’air, ce qui se bâtit sous nos yeux est bien un abri cotonneux prompt aux recueils et aux illuminations. Là se niche le pouvoir insoupçonné de Thresholder : celui d’être aussi un merveilleux livre enchanteur.

Une chanson : https://ianwilliamcraig.bandcamp.com/track/some-absolute-means
Parce que dans les grésillements les chœurs se raccordent à un pays perdu si lointain mais déjà rattaché à nos cœurs.




19/ LowDouble Negative (pop)

Mais qu’est-il arrivé à Low ? Cet album surgit et c’est comme si le versant fantomatique du groupe avait pris le dessus, comme si le trio se laissait ronger par ce double noir sagement tapi dans l’ombre toutes ces années. Leur pop lente et en surnage devient broussailleuse, se noie dans des nappes trip hop, electro et darkwave et prend un malin plaisir à s’abîmer. Low quitte donc l’hiver pour les ténèbres, la blancheur pour le noir écarlate. Malmenée, cette pop n’en demeure pas moins rayonnante et victorieuse, puissamment et fièrement éclatante dans le marasme. Les rais de piano éclairent encore la nuit boueuse. Double Negative est un album de confrontation qui se fie à sa nouvelle psyché pour retrouver la lumière et faire fuir la nuit en la faisant douter sur son propre territoire. Ce chemin lumineux se trace quelque part entre grésillements, craquèlements et ultrasons. Sur les plaques mouvantes et brûlantes de l’Enfer, un tel talisman de joie est une précieuse bénédiction.

Une chanson : https://lowtheband.bandcamp.com/track/disarray
Parce que la cadence pulsatile se flétrit comme une rose fanée et martèle une marche nocturne décadente.




18/ The Skull DefektsThe Skull Defekts (noise rock / rock indus)

On raconte qu’il s’agit du dernier album de The Skull Defekts. Alors pour cet ultime tour de piste, rien n’est épargné, tout est passé au crible des balles et de la cisaille. Entre tonnerre, percussions tribales et lancinances faussement dub, l’album s’ouvre sur un ciel de menace qui devient paysage de transe (A Brief History of Rhythm, Dub, Life and Death). D’emblée le récit est plombé et annonce la couleur : ce qui se jouera ne sera rien d’autre que la dernière radiographie musicale d’un monde perdu ausculté au stéthoscope et d’un temps en répétition de lui-même qui ne vibre plus que par cadences. Viennent ensuite les guitares ciselées, stridentes, à la fois gracieusement princières et complètement éreintées. Les riffs chirurgicaux de haute voltige rappellent que l’opération a ses zones de fragilité et que la mort se côtoie de près. Chez The Skull Defekts, le ciel lourd et toujours très bas est une constance. La menace est à prendre au sérieux. Cette extrême sensibilité aux éléments et à la météorologie fait tout ressentir d’une manière plus aiguë et vrombissante. Ce dernier album restera comme une belle invitation à l’abandon total. Une façon de rendre les armes.

Une chanson : https://theskulldefekts.bandcamp.com/track/the-beauty-of-creation-and-destruction
Parce que cet hymne est une grande chanson de fin, une façon de tourner une belle page en la faisant mourir à petit feu.




17/ ResinaTraces (ambient / néoclassique)

Rares sont les chants qui réussissent à faire lever des voiles de violons à l’unisson comme ils lèveraient des serpents. Les chants élégiaques de Resina sont bien de ceux-là. Ils ont même sans conteste un pouvoir sur ces cordes tremblantes et ondulantes comme des scies. Grâce à cette subjugation vocale, les déchaînements se soulèvent et ces cordes farouches se meuvent en cordes téméraires et à jamais indisciplinés. Il s’en faut de peu : un coup de crin plus emporté qu’un autre auquel on se heurte soudainement, quelques cordes mal dégrossies qui nouées à d’autres font les danses maléfiques et funèbres. Finalement une telle musique dessine bien les tourments d’un cœur remis entièrement à un destin impétueux. Dans Traces, quelque chose cède littéralement. C’est comme si à force d’être balayée par ces cordes frottées une pierre s’ouvrait soudainement et libérait de nouvelles énergies. Le coryphée ne fait rien d’autre qu’assister ces métamorphoses magiques. Commence alors un voyage en eaux noires et troubles : il est sans fin. C’est le Styx qui se traverse pour une destination qui ne s’atteint jamais.

Une chanson : https://resina.bandcamp.com/track/in-in
Parce qu’entre grandes vagues déchaînées et chants des sirènes, l’épopée d’Ulysse est une somptueuse victoire sur la mer.




16/ Birds in RowWe Already Lost The World (post hardcore)

Post hardcore ? Assurément bien qu’il s’agisse d’une invitation des plus élégantes à la danse. La main tendue entraîne ici vers des valses rock enfiévrées et diaboliques. Abreuvée d’une nonchalance pop en même temps que d’un rideau de guitares ciselées qui savent découper les mélodies en morceaux de choix, cette danse hardcore sait mener le bal en tout lieu. La vivacité des gestes, puis leur enchaînement roulé-boulé à d’autres et savamment arrêté avant le mouvement de trop : là se situe tout l’art du break hardcore que maîtrise à perfection Birds in Row. We Already Lost The World est cette digue qui sait quand laisser l’eau dévaler en torrent et quand la laisser couler en doux ruisseau. Les guitares cristallines qui font cet album sont ainsi à plusieurs débits. Éteindre les surtensions et électrifier les extinctions : grâce à cet art pyromane, Birds in Row prouve en un somptueux coup d’éclat succinct que la nouvelle scène post hardcore mondiale devra compter sur eux.

Une chanson : https://birdsinrow.bandcamp.com/track/we-vs-us
Parce que le caprice garage rock adolescent finit brisé et détrempé dans les rouleaux désespérés de la tornade finale.




15/ The OscillationU.E.F (rock psychédélique / krautrock / drone / electro)

Album-trip radical comme on en trouve si rarement, U.E.F est un rêve fait sous des hallucinogènes démentiels. C’est comme si Can rencontrait Carbon Based Lifeforms et que les cartes de krautrock étaient soudainement rabattues vers un psychédélisme gonflé aux champignons protéiformes. Ceux qui font battre la chamade, grincer les mâchoires et siffler la cocotte. Les sensations recherchées sont donc bien celles qui font trembler les épidermes et revivifier les corps. En deux longues chansons, l’énergie lancée tambour battant en intraveineuse s’auto-entretient dans les circuits électriques. Pour cela, elle n’a qu’à se raccorder aux coups d’éclat météorologiques et relancer la machine par l’excitation d’afflux sanguins. Y’a-t-il paratonnerre plus beau que le corps humain ? Les images arrivent en enfilade accélérée avant de se déformer de façon cauchemardesque comme si rien ne voulait tenir. Tout s’entend : les craquements des terminaisons nerveuses comme les ébullitions de globules rouges. Avec cet album fou – sans doute le plus fou de la discographie de The Oscillation – notre cerveau ne peut que reconnaître qu’il se retrouve complètement dépassé. A-t-il seulement déjà été un jour autant saturé d’électrons ?

Une chanson : https://theoscillation.bandcamp.com/track/u-e-f
Parce que les grands flux survoltés de ce tourbillon de courts-circuits n’évitent pas la dissolution dévorante.




14/ Felicia Atkinson & Jefre Cantu-LedesmaLimpid As The Solitudes (ambient / electro expérimental / pop)

Images de rêves, souvenirs bercés dans des élégies nostalgiques, réminiscences sonores de l’enfance perdue : tout remonte dans un même défilé. Les synthés ont au moins cette vertu mémorielle-là. D’où vient la limpidité tant vantée de cet album qui réunit l’artiste plasticienne Felicia Atkinson au multi-instrumentiste Jefre Cantu-Ledesma ? De ces accords des synthés qui filent droit, sans tremblements ; ces accords qui livrent la beauté crue d’images nettes. C’est autour d’eux que l’univers vacille et que les flottements hagards se forment mais ce n’est jamais proprement eux. A chaque instant les notes de piano peuvent se faire avaler et menacent de s’éteindre comme des bougies vacillantes. Mais si tout résiste si bien au temps dans cet album, c’est qu’il se laisse guider par l’eau paisible rarement troublée. L’eau s’entend même comme une puissante source de jouvence qui transforme de douces mélodies mouillées en chansons enfantines. A croire que les deux artistes ont composé cet album au fil de l’eau, cherchant ainsi le passage crucial et inévitable au révélateur.

Une chanson : https://shelterpress.bandcamp.com/track/all-night-i-carpenter
Parce que cette plongée en ondes aquatiques prouve que les grottes cachées sous l’eau forment de beaux berceaux de solitude.




13/ GnodChapel Perilous (post punk / noise rock / rock indus / rock expérimental)

Aurait-on imaginé que la chapelle allait soudainement se retrouver en péril ? Les machines post punk et indus de Gnod se font plus fracassantes sur ce dernier album qui porte le nom du bâtiment en flammes. Elles nous laissent avec un amoncellement de débris que mettent en pièces les rythmiques distordues de ce rock-laminoir. Tout est étalé en place publique. Cet album c’est l’amas chaotique du monde, le sens de la mesure qui se perd. Mais il y’a aussi une certaine dignité à s’élever au-dessus des montagnes de ferraille et pousser des magnifiques soufflantes dans ces déserts de rocaille. L’album avance masqué avec cette armure de métal et cette carrosserie cabossée mais clinquante comme au premier jour. Des marches pénibles pénètrent dans ces champs industriels et dévastés, encore ravalés par des riffs de guitare qui les balaient avec fatalité. Sur Chapel Perilous, Gnod se rapproche un peu plus de Swans : même univers condamné, même lyrisme désenchanté. Ce genre de lyrisme qui annonce la fin d’une époque.

Une chanson : https://gnod.bandcamp.com/track/donovans-daughters
Parce que tout n’est que baisers langoureux de laminoirs avant la bourrasque fatal qui arrive à la dixième minute.




12/ Årabrot Who Do You Love (rock / noise rock)

Seulement du rock ! Du rock à grosses pattes sales et traînantes qui ne s’essuient pas sur le seuil de la porte et s’adressent en coups droits et coups du sort ! Le dernier-né d’Årabrot prend soin de la férocité du groupe norvégien comme d’un animal sauvage endormi. Cette férocité se contient déjà dans la magnifique voix faussement grunge du chanteur Kjetil Nernes. Elle donne l’impression qu’Årabrot est un grand chien bâtard aux dents blanches et effilées qui sait effrayer ses proies en leur tournant autour sans jamais émettre le moindre aboiement. La bête est dressée par de grosses guitares qui envoient des saccades fracassées comme des mandales assourdissantes. C’est un apprivoisement violent. Les maîtres-chiens qu’on devine derrière se nomment The Gun Club, The Birthday Party, les premiers Queens of the Stone Age et d’autres progénitures de ce romantisme noir qui savent garder une dose de colère sourde en eux et la laissent gronder en sous-main. Dans Who Do You Love, l’ambiance viciée presque goth rock est soutenue par des rythmiques doom metal très nordiques, et donc si bien infusées à la distorsion. In fine, ce groupe est élevé dans une perpétuelle colère qui en magnifie son élégance. C’est une rage sans taches.

Une chanson : https://arabrot.bandcamp.com/track/warning
Parce que derrière les riffs de muscles, de nerfs et de sang froid se cache une structure pop très efficace et entêtante.




11/ CoilgunsMillenials (hardcore / noise rock / black metal)

L’artillerie de Coilguns est une véritable démonstration de force de guerrière. Les riffs black metal du groupe rampent au septième sous-sol et mettent en péril les bunkers les plus sûrs. Non content d’arrimer aux étages inférieurs et à la fange du monde, le déploiement de guerre qui se joue-là en menace même les fondations. Le metal arachnéen aux tentacules multiples de Coilguns est vilain et vengeur jusqu’au bout et dans chaque chanson il enserre et étouffe ses proies. Parfois, ce sont des fantômes grimaçants qui resurgissent des limbes (Spectogram). Et si les attaques sont si vives, c’est qu’elles sont portées à contre-temps grâce aux ruptures de rythme piégeuses d’un hardcore batailleur. De ce cirque obscur seul rescapé de la ville abandonnée, le chanteur suisse Louis Jucker en est le maître loyal. Que retient-on des contorsions fatidiques de Millenials ? Un tel album est un désossement terrible, une carcasse métallique recrachée ; c’est encore une plongée dans les flammes attisée de l’Enfer. En somme, c’est une destruction interminable et totalisante.

Une chanson : https://coilguns.bandcamp.com/track/m-ni-res
Parce qu’au-delà du vertige sonore, les bourdonnements de la maladie de Ménière mènent aux beaux lâcher-prises qui précipitent dans le vide assourdissant.




Tino Tonomis


1 réflexion sur « 100 merveilleux albums de 2018 – #20 à #11 »

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