Bongwan aime l’ombre mais il subit la pleine lumière. Il aime plus que tout les petits matins hors du temps qui prolongent dans la même obscurité les non-dits et les mensonges de la nuit. Un « chéri » lancé un matin le déstabilise d’ailleurs. Qui l’appelle ? A-t-il imaginé cette interpellation ? Est-ce une réminiscence de la nuit ? La chronologie ici se retrouve défaite et Hong Sang-soo, toujours plus espiègle, en jouera avec délice lors de la dernière séquence finale. Bongwan trompe sa femme avec son assistante et il est pris au piège chez lui sous la lumière blanchâtre de la cuisine. D’une beauté éblouissante, le noir et blanc est à ce titre judicieux car il théâtralise le petit monde d’un Bongwan qui n’avait rien demandé à personne. Le film débute et Hong Sang-soo découpe ses personnages de façon légère à travers un décor de mauvais présage.
L’arrivée d’Areum, la nouvelle assistante de Bongwan, bouleverse tout. Contrairement à la femme de Bongwan et à son amante, Areum est filmée seule en plan rapproché. Elle s’impose en réalité comme la véritable héroïne qui fait de ce petit conte amorale une grande histoire. Deux, trois fois dans le film, elle dérive son attention et frôle de façon saisissante le regard-caméra, toujours à des moments cruciaux du film. Areum distribue le jeu. « Pourquoi vous vivez ? » assène-t-elle à Bongwan avant d’invoquer de façon ironique Dieu à la table du restaurant. Hong Sang-soo trouve à travers Kim Min-hee l’actrice qui lui permet de percer plus loin dans la cruauté des émotions.
Souvent drôle, le film est vertigineux par moments. Ces moments de vertige arrivent sans prévenir. Son amante accuse Bongwan d’être lâche, il l’est et il se contente de répéter « je suis lâche ». Une pure tautologie se met en place et tout le monde plonge dans le gouffre de l’inaction. Son amante cède à une crise de larmes sans fin et la musique se lance en écho pour accompagner cette plongée. Il s’agit d’ailleurs toujours de la même ritournelle, sombre et élégiaque, une musique quasi-divine. Plus tard, ce sera au tour de Bongwan de céder à cette crise de larmes sous les yeux estomaqués d’Areum. La présence d’Areum ajoute alors à cette scène un humour plein de malice cruelle. Celui-ci frappe de façon violente et ironique ce vertige de la tragédie.
Comme une belle partition mystérieuse, le film s’achève sur une note douce et amère. Une note brillante comme la neige qui nimbe tout ce petit monde. Areum revient. Cela peut se dérouler le jour d’après ou des mois après. Peu importe car Bongwan ne se souvient déjà plus. Le jour d’après est le jour où on oublie tout, les souvenirs comme les promesses de la veille. C’est aussi le jour où tout éclate dans l’extrême blancheur de la neige.
Tino Tonomis
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