Si Contes de juillet s’entend au pluriel, c’est à la manière des Contes des quatre saisons d’Éric Rohmer, c’est à dire dans une composition musicale qui ne se réduit pas qu’à une somme d’histoires délivrant leur petite mélodie morale mais celle qui se donne plutôt comme un croisement malicieux des récits d’un seul recueil. L’Amie du dimanche et Hanne et la fête nationale ne sont donc pas deux courts-métrages mais deux mouvements narratifs d’un unique long-métrage. Ils ont leur unité propre mais leurs sens en commun. Ils sont deux miroirs qui se renvoient des histoires en reflet ; les ressemblances s’y découvrent à l’envers. L’Amie du dimanche : se séparer pour mieux se retrouver. Hanne et la fête nationale : se lier pour mieux se séparer. Au fond de la cornée, une image est toujours à l’envers. Ces deux contes se toisent en chiens de faïence et en amis ; ainsi ils apprennent à se voir.
La façon aléatoire dont les histoires des personnages s’enchaînent dans les deux récits dessinent tout d’abord des parcours d’amitié et d’amour en errance et en perpétuelle recomposition. Dans L’Amie du dimanche, Miléna et Lucie c’est d’abord l’histoire d’une amitié en apprentissage avec tous les balbutiements qui vont avec. Il leur faut vivre des histoires en parallèle par le biais d’un deuxième homme – plus précisément les hommes secondaires d’histoires secondaires – pour renforcer leur histoire commune, celle qui s’écrit de l’aube au crépuscule à la base de loisirs de Cergy (le personnage principal à la sève magique de L’île au trésor du même Guillaume Brac). De ces deux histoires quasi théâtrales naît le plaisir du jeu. Miléna est embarquée dans une histoire de marivaudage grotesque qui tombe à l’eau ; Lucie dans un récit chevaleresque en compagnie d’un chevalier des bois de banlieue. Les deux amies se retrouvent par hasard à la fin, miment chacune leur récit d’aventure et décident d’arpenter la même route. Dans Hanne et la fête nationale, Hanne entraîne dans son pas vif des histoires sitôt débutées sitôt achevées. Ces histoires sont des courses qu’elle a tôt fait d’arrêter, plus ou moins de son gré : Andrea qui se masturbe sur elle et la poursuit dans les couloirs ; son copain norvégien qu’elle fait taire sur Skype d’une fermeture de clapet d’ordinateur ; Roman qui la suit durant le défilé du 14 juillet mais qui se fera arrêter par le coup de poing impulsif d’Andrea. Lorsqu’elle danse avec Sipan le pompier, le sens du récit s’inverse : c’est enfin lui qui entraîne le pas et elle qui se laisse guider. Mais quand la danse s’arrête, la solitude revient.
Dans les deux récits, un même point de bascule opère : la jalousie. Dans L’Amie du dimanche, la jalousie de la copine de Jean, surveillante de baignade comme lui, libère Miléna et la laisse ainsi à la nuit noire – cette nuit noire dans laquelle elle retrouve Lucie. Dans Hanne et la fête nationale, Hanne se montre comme Miléna au-dessus des jeux de la jalousie qui confronte Andrea à Roman mais ceci afin de mieux rester seule. Seule jusqu’à ce moment où elle se lie à tout un groupe le temps d’une soirée à la Cité Universitaire. La bascule c’est alors la jalousie de Salomé qui met un terme à la danse et donc à la possibilité d’une histoire avec Sipan. La solitude qui revient dans la nuit noire n’est plus la même ; elle est subie. Elle tombe comme un voile obscur ou comme une certaine nuit niçoise du 14 juillet 2016. Tendresse d’une jalousie qui ouvre les yeux sur l’amitié d’une part ; cruauté d’une jalousie qui condamne les regards d’amitié d’autre part.
Dans Contes de juillet l’amitié est prise au sérieux. Là où la drague est une occupation légère pleine de conventions – amener une fille dans un endroit secret dans les bois, l’embrasser sur la plage, lui apprendre l’escrime, l’inviter voir les feux d’artifices du 14 juillet – l’amitié ne prête pas à rire. Pour Miléna et Lucie, une amie est une partenaire d’amusement et une complice de récits. Pour Hanne, un ami est cette personne qui sait mettre les pas dans ceux d’un autre et suivre ses courses à bonne distance. Les deux contes fonctionnent sur un même jeu de miroir qui rendent victorieuse une image : la tendresse de l’amitié. Dans L’Amie du dimanche, Miléna et Lucie se toisent en plans larges dans le train qui les mènent à la base de loisirs de Cergy tandis que sur le trajet du retour elles dorment l’une contre l’autre en plan resserré. Dans Hanne et la fête nationale, la matinée débute par le réveil d’Andrea qui se masturbe tandis que Hanne dort. Un jour s’écoule et le lendemain matin, Andrea dort et Hanne l’embrasse sur le front d’un geste qui signifie beaucoup : le départ, le pardon et aussi l’amitié. La vie est ainsi faite que, le temps d’une journée et au bout des circonvolutions d’usage et des parcours hagards, chacun cherche sa petite part de tendresse.
Tino Tonomis
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